Fiora et le Magnifique
d’où et qui court la ville depuis ce
matin ? claironna l’Espagnol. La fille qui devait être soumise à l’ordalie
et qui s’est enfuie du couvent Santa Lucia ne se serait pas sauvée, ce qui, je
ne te le cache pas, me surprenait un peu : elle aurait été enlevée.
– Je
sais cela. Madonna Lucrezia, ma mère, en revenant ce matin de la messe, m’a
rapporté ce propos. Mais tu le dis toi-même : on ne sait d’où il vient. Il
est donc difficile d’en tenir compte.
– On
dit, chez nous, qu’il n’y a pas de fumée sans feu...
– On
le dit aussi chez nous mais ce que tu ignores, puisque tu n’es pas de ce pays,
c’est qu’aucun peuple n’a plus d’imagination que celui de Florence. Il aime le
merveilleux, le fantastique et il sait aussi bien conter les vieilles histoires
qu’en inventer d’autres...
Dans
sa robe blanche, le corps maigre du moine se raidit encore.
– Il
me semble que tu prends cette affaire bien légèrement ? Ne crois-tu pas
que des recherches s’imposent ?
– J’ai
déjà fait rechercher Fiora Beltrami et cela sans résultat. La Seigneurie
également et sans plus de succès. La pauvre enfant a dû quitter la ville...
– Tu
appelles pauvre enfant ce que je nomme moi sorcière ! Cette créature du
diable possède ici même, dans ta ville et peut-être même dans ton palais, des
appuis qui l’ont soustraite à la justice de Dieu comme à celle des hommes.
Un éclair
traversa les yeux sombres du Magnifique :
– Dans
mon palais ? Insinuerais-tu que je suis l’auteur de cet enlèvement et que
je la cache ici ?
Devant
la colère qui vibrait dans la voix rauque de Lorenzo, fray Ignacio battit en
retraite :
– Pardonne-moi
si je me suis mal exprimé et songe que seul le zèle que m’inspire le service de
Dieu m’anime. Je n’ai pas parlé de toi. Il y a beaucoup de monde dans ton
palais et tu ne peux savoir tout ce que font tes nombreux amis... des amis qui
ne sont peut-être pas toujours ceux qu’il conviendrait de voir autour d’un
grand prince...
– Je
ne suis pas prince mais seulement le premier des citoyens de cette ville. Nous
sommes ici en république, fray Ignacio ! J’ai donc droit de choisir les
amis qui me plaisent !
– Ne
joue pas sur les mots. Si tu n’es pas prince, ton épouse l’est et tes fils le
seront et il ne convient pas que des enfants de haute naissance, voués aux
grandes destinées, soient élevés hors de la religion chrétienne. Or tu leur as
donné pour maître un traîne-misère sorti on ne sait d’où mais qui parle grec et
qui leur offre pour modèle les démons que les anciens appelaient des dieux...
– Ne
pouvons-nous nous en tenir à un seul sujet ? fit Lorenzo d’une voix
coupante. De quoi au juste es-tu venu me parler, moine ? De l’enlèvement
éventuel d’une malheureuse dont je cherche en vain pourquoi tu la poursuis d’une
telle hargne... ou de l’éducation de mes enfants ?
– Je
suis venu te parler de ta ville, dit fray Ignacio avec emphase, de ta ville qui
oublie le Christ et qui est moins ardente à entendre sa parole qu’à écouter des
chansons, de ta ville que tu entraînes sur le chemin de la perdition. C’est là
le souci majeur de Sa Sainteté...
– Je
t’arrête tout de suite, moine ! Sa Sainteté comme tu dis est surtout
soucieuse de faire tomber Florence et sa région entre les mains de son neveu
Riario, l’ancien douanier. De là ce grand intérêt qu’il lui porte.
– Honte
et malheur sur toi, Lorenzo de Médicis, si tu ne te résous pas à entendre l’appel
de Dieu que je t’apporte ! Le pape Sixte IV m’envoie...
– Le
pape dispose de quarante cardinaux, d’une armée d’évêques et d’abbés, pourquoi
donc t’envoie-t-il toi, un Espagnol, porter ici sa parole ?
– Pour
juger de ce que valent mon courage et mon ardeur à servir Dieu en face d’une
cité de perdition avant de me renvoyer dans mon pays où la tâche qui m’attend
est immense. C’est du moins ce que je pense. La reine Isabelle de Castille est
soucieuse, en effet, des désordres que créent dans son royaume les juifs et les conversos et elle a demandé, par ma voix, l’aide de Sa Sainteté
qui lui veut du bien.
Un
sourire sarcastique plissa la grande bouche de Lorenzo et rapprocha son long
nez de son menton :
– Il
me semble que la reine Isabelle a de plus graves soucis que l’état de l’Église ?
Couronnée reine de Castille en décembre dernier à Ségovie,
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