Fiora et le Magnifique
maître avec un salut, un sourire et, sans le moindre mot.
– Mon
oncle, déclara Chiara, si ce jeune homme est peintre, tu devrais lui demander
de faire mon portrait. J’aimerais poser pour lui...
– Jeune
folle ! tu demanderas cela à ton époux quand tu en auras un. D’ailleurs,
on ne sait même pas son nom...
– S’il
n’y a que cela, dit Beltrami, je peux te renseigner. C’est le fils d’un notaire
des environs avec qui j’ai eu, naguère, une affaire à traiter. Ce jeune homme s’appelle
Leonardo... Leonardo da Vinci et Verrochio en fait grand cas. C’est un garçon
étrange mais de beaucoup de talent...
– Leonardo ?
Je n’aime pas beaucoup ce nom-là. Il me fait penser à ta gouvernante, fit
Chiara avec un sourire moqueur.
Fiora
haussa les épaules.
– Qu’est-ce
qu’un nom ? D’autant que ce jeune homme est vraiment trop beau pour
évoquer dame Léonarde...
La
nuit venait rapidement. D’un seul coup, comme sous la baguette d’un magicien,
la place s’illumina des flammes de centaines de torches. Les trompettes
lancèrent vers le ciel assombri leur appel triomphant et le cortège de la reine
se reforma. Lorenzo offrit sa main à Simonetta pour l’aider à descendre de son
trône. Dans les lumières mouvantes la jeune femme brillait comme une étoile...
– Mes
amis, lança le Magnifique de sa voix rauque, le service des dames nous réclame
à présent. Allons danser !
Derrière
eux, les invités quittèrent leurs places. Fiora vit alors que l’étranger la
contemplait toujours.
CHAPITRE II L’ENVOYÉ DE
BOURGOGNE
– Madonna,
il faut me croire, j’étais prêt à mourir plutôt que d’être vaincu sous vos
yeux...
Luca
Tornabuoni priait aux genoux de Fiora, assise entre une tapisserie d’Arras
parfilée d’or et une crédence chargée de verreries de Venise aux couleurs
chaleureuses et d’orfèvrerie précieuse, dans la plus reculée des salles du
palais Médicis où la jeune fille s’était réfugiée pour trouver un peu de
tranquillité... Il n’y avait là que peu de monde, la plupart des invités se
tenant dans la salle voisine où une alerte romanesca entraînait
les danseurs au son des violes, des harpes, des flûtes et des tambours.
Comme
tous les Florentins, Fiora adorait la musique mais, ce soir, elle préférait
écouter que danser, le spectacle de Giuliano menant le bal en tenant Simonetta
par la main ne lui étant pas particulièrement agréable. Elle s’était donc
réfugiée dans cette pièce plus paisible. Hélas, il avait fallu que ce grand
dadais l’y poursuivît ! Elle le récompensa de sa protestation enflammée
par un sourire acide :
– A
mourir peut-être... mais pas à déplaire à monseigneur Lorenzo, fit-elle. Tout
le monde savait que Giuliano devait être le vainqueur de la journée puisque l’Étoile
de Gênes était reine de la giostra. Elle ne pouvait être déçue et
qui déçoit Simonetta déplaît à Lorenzo...
– Êtes-vous
en train de dire... que je me suis laissé battre ?
– C’est
à peu près cela. Voyons, Luca, vous êtes deux fois plus vigoureux que Giuliano et
vous avez une demi-tête de plus que lui ! Contre Lorenzo, je ne dis pas.
Mais contre son frère, vous deviez vaincre. J’avais espéré que mon gage vous
conduirait à la gloire. Comme il n’en fut rien... rendez-le-moi !
Le
jeune homme appuya sa main sur sa poitrine pour mieux en défendre le précieux
dépôt :
– Vous
n’êtes tout de même pas aussi cruelle ?
– Je
n’aime pas les vaincus. Allons, rendez-moi mon mouchoir ! Il n’est pas
fait pour essuyer des larmes de regrets.
Un
éclat de rire fit retourner la jeune fille. Appuyé à la tapisserie, les bras
croisés sur sa poitrine toujours ornée du collier au mouton plié en deux,
Philippe de Selongey considérait le couple avec un sourire narquois que la
jeune fille jugea parfaitement détestable. Quand il vit que Fiora le regardait,
l’envoyé de Bourgogne frappa ses mains l’une contre l’autre en un
applaudissement moqueur :
– Bravo,
demoiselle ! Il semble qu’en dépit de votre jeune âge vous fassiez preuve
d’un singulier esprit de pénétration...
– Que
voulez-vous dire ? fit Fiora avec hauteur.
– Que
vous n’êtes pas dupe – pas plus que je ne le suis – de la comédie martiale qu’on
nous a donnée tout à l’heure. Le décor était parfait mais les rôles bien mal
tenus.
– Cela
signifie quoi ? gronda Luca en
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