Fiora et le Magnifique
lui communiquait une étrange assurance. Pour la première fois de sa vie,
la jeune fille goûtait la joie de se sentir belle et admirée. Cela lui venait
de l’expression toute nouvelle qu’elle pouvait voir dans les yeux sombres de
Lorenzo. Il la regardait comme s’il ne l’avait jamais vue et sous ce regard
insistant elle se sentit rougir.
– Quel
âge as-tu ? demanda soudain Lorenzo.
– Dix-sept
ans, monseigneur.
– Vraiment ?
Je t’aurais donné davantage. Cela tient sans doute à cette façon que tu as de
porter fièrement la tête et de regarder bien droit. La plupart des filles de
ton âge baissent les yeux au moindre mot et j’ai toujours pensé qu’il entrait,
dans cette attitude, une bonne part d’hypocrisie. Rien de tout cela chez toi !
Tu restes sereine en toutes circonstances... du moins tu en donnes l’impression.
– Parce
que je ne me suis pas évanouie d’émotion lorsque le maître m’a invitée ? (Elle
se mit à rire, d’un rire musical auquel le timbre chaud de sa voix donnait un
charme inattendu.) Quant à ma sérénité, il n’y faut pas croire. Je sais très
bien me mettre en colère. Et je sais aussi rougir...
– J’ai
vu... et c’est bien joli. Ton père songe-t-il à te marier ?
– Je
ne crois pas qu’il le souhaite déjà. Et moi non plus, seigneur Lorenzo, si tu
veux la vérité... D’ailleurs, les filles d’ici ne se marient guère avant vingt
ans.
– Quelle
étrange créature tu es ! Dès l’âge de dix ans, tes pareilles rêvent d’un époux
et, d’après ce que j’ai pu voir, tu ne manques pas de soupirants. Quand deux
hommes sont prêts à se battre, c’est une preuve, il me semble ? Aucun d’eux
ne saurait-il toucher ton cœur ?
– Aucun.
D’ailleurs ce n’était pas pour moi que Luca Tornabuoni et l’étranger allaient
se battre mais pour la façon dont on conçoit les tournois ici et en pays de
Bourgogne...
– Quelle
grossièreté ! Si j’avais su cela, je les aurais fait arrêter. A une jolie
femme on ne devrait parler que d’elle. En vérité, je suis déçu.
– Pas
moi, dit Fiora tranquillement. Vois-tu, monseigneur, je ne suis pas certaine d’être
courtisée uniquement pour moi-même... J’entends trop parler de la fortune de
mon père et je suis sa fille unique.
Le
bras que Lorenzo venait de passer autour de la taille de Fiora resserra un peu
son étreinte et sa voix se chargea de sévérité :
– De
telles idées ne sont pas de ton âge ! Elles ne devraient jamais effleurer
ton esprit. Tu ne devrais songer qu’à la joie d’être jeune et ravissante, au
bonheur qui te viendra un jour, aux fêtes que te donnera l’amour. En vérité, je
commence à croire qu’il n’y a pas un seul miroir digne de ce nom au palais
Beltrami...
Le
couple se sépara pour le salut final et Fiora reçut en plein visage le sourire
narquois du Magnifique :
– Je
t’en enverrai un. A présent, je te rends ta liberté, bel oiseau, et je vais où
la politique m’appelle...
Les
danseurs s’étaient arrêtés face aux sièges d’apparat où étaient assises
Lucrezia Tornabuoni, la mère de Lorenzo et de Giuliano, grande dame imposante
dans ses velours noirs givrés d’argent, et Clarissa, la rousse Clarissa Orsini,
l’épouse de Lorenzo en brocart brun et toile d’or. Fiora leur offrit une
révérence pleine de respect qui lui valut un double sourire puis s’éloigna,
cherchant des yeux Giuliano pour voir s’il avait été témoin de ce qu’elle
considérait comme son triomphe mais le jeune homme, assis sur un carreau de
velours aux pieds de Simonetta qu’une guirlande de poètes entourait, ne prêtait
aucune attention à la danse. Il regardait la belle Génoise qui, souvent, se
penchait sur lui en souriant.
Tous
deux offraient une image si parfaite de cet amour courtois cher aux romans de
chevalerie que Fiora en oublia sa jalousie pour admirer, en artiste, le groupe
qu’ils formaient, une symphonie de blancheur sur laquelle ressortait le
scintillement des joyaux et le doux éclat des perles. Mais il y avait, dans la
perfection même de la jeune femme, quelque chose de fragile qui, soudain,
frappa celle qui l’observait. La peau si blanche de Simonetta semblait s’être
affinée jusqu’à une certaine transparence ces derniers temps et, si le large
décolleté de la robe laissait admirer la naissance de seins charmants, le
dessin fragile des clavicules y paraissait plus accentué. Quant aux mains
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