Fiora et le Magnifique
bouche pour dire que le chevalier avait sans doute rencontré
autrefois sa mère, Beltrami ne lui en laissa pas le temps.
– Vous
êtes victime d’une illusion, messire. Ma fille n’a que dix-sept ans et n’a
jamais quitté ce pays. A moins qu’il ne s’agisse d’un stratagème... souvent
employé pour lier conversation avec une inconnue qui vous plaît ! Le
bonsoir, messire ! Nous partons.
La
voix était courtoise mais le ton sans réplique. Selongey n’insista pas et s’écarta
en saluant pour livrer passage au père et à la fille. A la dérobée, Fiora
saisit son regard, à la fois songeur et interrogatif. Elle n’éprouva pas, cette
fois, l’irritation ressentie à leurs précédentes rencontres mais au contraire
une curieuse impression de regret comme cela arrive lorsque l’on doit laisser
inachevée une chose intéressante. Toutefois, elle était trop respectueuse des
volontés paternelles pour les discuter... autrement que dans l’intimité.
Au bas
de l’escalier, ils retrouvèrent leurs serviteurs qui les attendaient pour les
escorter jusqu’à la maison avec des torches. Cette nuit-là, il n’était guère
besoin d’éclairage car les rues de la ville étaient brillantes de lumières et
pleines de musique et de joie. On festoyait jusque sur les places où, sur l’ordre
de Lorenzo, on régalait le popolo minuto, le petit peuple et,
partout, chanteurs et baladins entraînaient les chœurs ou bien faisaient
admirer leurs tours. La nuit étendue sur Florence en fête était belle et
étoilée...
Devant
les portes de bronze du Baptistère dont les personnages dorés semblaient s’animer
sous les lumières dansantes, une bande joyeuse d’étudiants, d’apprentis et de
filles enveloppa soudain le négociant et sa fille d’une ronde qui les isola un
instant de leurs serviteurs :
– Il
tombe des caresses [ix] ,
cette nuit, messer Francesco, s’écria, aussitôt repris en chœur par les autres,
l’un des garçons. Il n’est pas encore l’heure de rentrer mais de danser...
– Je
n’ai plus l’âge de danser, mes amis, lança Beltrami avec bonne humeur, et ma
fille est fatiguée...
– Fatiguée ?
Avec ces yeux-là ?
Un
garçon, qui portait un luth sur le dos, s’était détaché de la ronde. Il venait
mettre un genou à terre devant Fiora amusée et chantait :
Ô rose
cueillie sur la verte branche,
Tu fus
plantée dans un jardin d’amour...
La
chanson était célèbre. Tous la reprirent en chœur et Fiora, souriante, tendit
sa main au jeune chanteur qui la baisa. En même temps, Beltrami ouvrait sa
bourse, en tirait une poignée de pièces qu’il lança dans le cercle :
– La
nuit est encore longue, enfants ! Tirez-en le plus d’amusement possible à
notre santé !
On l’acclama
et les pièces furent vite ramassées, après quoi toute la bande, au son des
luths, des flûtes et des tambourins, escorta le père et la fille jusqu’à leur
palais où, sur la permission du maître, les valets porte-torches offrirent à
boire avant de repartir danser avec les autres jusqu’au lever du jour. Fiora et
son père montèrent chez eux et Beltrami, ayant exprimé l’intention de
travailler dans son studiolo sur un manuscrit grec récemment
acheté, Fiora l’y suivit. Songeuse, elle s’approcha du portrait dont elle
releva le voile pour le regarder encore.
– Ce
n’est pas l’heure ! reprocha doucement Francesco. Tu devrais aller
dormir...
– Je
t’en prie, père, laisse-moi la contempler encore un peu ! Songe que je
viens seulement de la découvrir ! Tu ne m’as seulement jamais dit son nom.
– Je
t’ai dit qu’elle s’appelait Marie.
– Tant
de femmes s’appellent Marie ! C’est insuffisant.
– Il
faudra pourtant que cela te suffise pour le moment. Plus tard je te dirai...
– Dans
ta bouche cela signifie de nombreuses années, n’est-ce pas ? Et moi je
voudrais tant savoir... Cet étranger, ce... Philippe de Selongey, ajouta-t-elle
en rougissant soudainement, pourrait-il l’avoir connue ?
– En
admettant que ce soit possible, il devait être bien jeune alors...
– Pourtant,
cette ressemblance dont il parlait ? Beltrami enferma entre les deux
siennes les mains de
Fiora.
– N’insiste
pas, mon enfant ! Tu ne me feras pas dire ce que je veux garder pour moi
et tu me peineras ! Va dormir, à présent ! D’ailleurs, voici donna
Léonarda qui vient te chercher...
La
porte venait en effet de faire entendre le
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