Fiora et le Magnifique
souffrante ?
– Si
j’étais souffrante, dame Léonarde, je resterais au lit, dit Fiora avec une
grande dignité. Mais après tout ce qu’il m’est arrivé hier, je pense qu’il me
faut aller prier.
Léonarde
n’insista pas mais, ses soupçons éveillés par cette soudaine crise de piété
chez une fille qui semblait priser davantage Platon, Hésiode ou Sophocle que
les évangélistes, elle se promit – en riant sous cape car si la petite
commençait à s’intéresser à un autre garçon que Giuliano de Médicis c’était
plutôt une bonne chose – de la surveiller sans en avoir l’air. Et elle envoya
Khatoun veiller au bain.
Une
heure plus tard, enveloppée d’un grand manteau brun à capuche fourré de
menu-vair [x] car le temps avait brusquement fraîchi, Fiora trottait vers Santa Trinita,
Khatoun sur ses talons portant un coussin et un livre d’heures. A la mort de sa
mère, la jeune Tartare avait été baptisée sous le vocable de Doctrovée qui
était la sainte de ce jour-là mais personne ne l’avait jamais appelée comme
cela. Khatoun elle était, Khatoun elle restait mais grâce à ce baptême elle
pouvait accompagner Fiora dans ses dévotions à l’église.
Santa
Trinita, devant laquelle chaque année les dames et les demoiselles de Florence
célébraient le retour du printemps, était une sévère et noble église gothique
qui eût été sombre sans les nombreux cierges qui brûlaient, dans les
différentes chapelles. Sous les voûtes décorées à fresques par Baldovinetti,
ceux-ci formaient de grands bouquets de lumières que reflétaient les ors des
autels.
Une
messe commençait dans le chœur et Fiona décida de la suivre avant d’entendre ce
que le chevalier bourguignon avait à lui dire de si important. Elle avait d’ailleurs
remarqué tout de suite en entrant sa haute silhouette sombre plantée dans la
deuxième chapelle à gauche du chœur devant les fresques de Giovanni da Ponte.
Le nez levé vers le magnifique tombeau Federighi sculpté jadis par Luca della
Robbia, Selongey semblait en étudier chaque détail avec l’attention d’un
connaisseur mais Fiora, hypocritement abritée sous son capuchon, vit qu’il
jetait de rapides regards à chaque personne qui entrait dans l’église. Alors,
elle découvrit suffisamment son visage pour qu’il la reconnût mais ne fit pas
mine de l’avoir aperçu et alla s’agenouiller au plein milieu de la nef, un peu
en retrait des quelques personnes qui se trouvaient là... Jamais sans doute
messe fut suivie si distraitement. Fiora ne priait pas, n’écoutait qu’à peine,
uniquement consciente de cette présence qu’elle sentait derrière elle. Elle
savait, sans avoir eu besoin de tourner la tête, que cet homme, encore ignoré
vingt-quatre heures plus tôt, était là, tout près et elle en éprouvait un
trouble qu’elle ne s’expliquait pas mais qu’elle subissait sans déplaisir...
Khatoun qui, elle, n’avait aucune raison de ne pas se retourner, lui chuchota :
– Il
y a un beau seigneur juste derrière nous et il n’arrête pas de te regarder,
maîtresse !
– Je
sais, souffla Fiora. Il nous parlera tout à l’heure mais il ne faudra le dire à
personne. Tu promets ?
Sans
souci de la sainteté du lieu, Khatoun cracha par terre en étendant la main ce
qui était sa façon de prêter serment depuis qu’elle avait vu deux mariniers de
l’Arno agir ainsi. Fiora ne put s’empêcher de sourire mais distingua nettement
un rire étouffé derrière son dos.
Un
rire qui d’ailleurs s’étrangla et s’acheva en une brève quinte de toux.
L’office
tirait à sa fin. Manié vigoureusement par un jeune diacre aux cheveux en
désordre, l’encensoir jeta quelques éclairs et dispensa d’épaisses volutes de
fumée odorante qui emplirent le chœur d’un brouillard où s’estompèrent la
chasuble diaprée du prêtre et les précieux objets du culte cependant qu’à
genoux Fiora poursuivait une prière plus apparente que réelle. Une voix
assourdie lui parvint :
– Je
vous attends près du bénitier...
Elle
inclina légèrement la tête mais ne bougea pas, s’offrant le plaisir bien
féminin de faire patienter un peu plus longtemps l’homme qui l’avait si
cavalièrement invitée à venir le rejoindre. Cela lui permit d’attendre que l’église
se fût vidée presque entièrement. Il ne restait plus que le bedeau occupé à
éteindre les cierges des grands candélabres avec un éteignoir à long
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