Fiora et le Magnifique
peut-être le mal de mer ?
Il ne faut pas chercher plus loin, puisque le maître ne veut pas vous marier de
sitôt.
– Vous
croyez ? fit, avec soulagement, Fiora qui n’avait pas pensé à cette
éventualité.
– Bien
sûr, mon oiseau bleu. Oubliez tout cela ! Demain, je dirai à messer
Francesco de veiller d’un peu plus près aux gens qui vous approchent quand je
ne suis pas avec vous...
Renvoyant
Khatoun, qui bâillait sans arrêt, au lit de coussins et de fourrure qu’elle
occupait dans un coin de la grande chambre, Léonarde éteignit les chandelles,
ne laissant qu’une veilleuse d’huile parfumée au chevet du lit. A la demande de
Fiora, elle avait laissé la fenêtre à demi ouverte sur l’air frais de la nuit.
Étendue
dans son grand lit, Fiora, qui n’était pas d’une piété extrême, marmotta une
courte prière puis, sentant le sommeil alourdir ses paupières, ferma les yeux.
Elle
les rouvrit presque aussitôt. Un bruit sec de verre cassé suivi d’un choc sourd
la dressa sur son séant puis la fit glisser de son lit. Quelque chose avait
heurté le battant de sa fenêtre entrouverte, brisant l’un des petits carreaux
et ce quelque chose était tombé sur le tapis.
A l’aide
de sa veilleuse, Fiora découvrit une pierre autour de laquelle un morceau de
papier était lié, bien serré. Le cœur battant soudain la chamade, elle la
ramassa puis jeta un coup d’œil vers Khatoun mais la petite esclave n’avait
rien entendu et dormait à poings fermés, roulée en boule dans son nid de
coussins.
Fiora
revint s’asseoir sur son lit, remit la veilleuse à sa place, rompit avec ses
dents le lien qui retenait l’étrange message puis le déplia et le lut. Il ne
contenait que peu de mots :
« Demain
je vous attendrai durant toute la matinée dans l’église Santa Trinita. Ne
pourriez-vous venir y prier ? Il faut absolument que je vous parle ! »
Et c’était signé : Ph. de S.
Rouge
et confuse comme si l’envoyé bourguignon était entré lui-même dans sa chambre,
Fiora tourna et retourna le morceau de papier entre ses doigts sans trop
démêler si elle était plus furieuse que troublée. Que cet inconnu eût l’audace
de lui donner un rendez-vous la scandalisait mais, sans bien s’en rendre
compte, elle éprouvait une sorte de fierté mêlée d’excitation devant cette
espèce d’aventure qui se présentait à elle. Une aventure comme -elle l’avait
appris en entendant bavarder Léonarde et Colomba – il en arrivait à certaines
jeunes femmes et jeunes filles de la ville. La question était de savoir si elle
irait ou n’irait pas à Santa Trinita. L’église était toute proche et elle
savait pouvoir y aller en la seule compagnie de Khatoun. Léonarde, elle, s’y
rendait régulièrement chaque matin pour la petite messe de l’aube et ne jugeait
pas utile d’y retourner lorsque, par extraordinaire, Fiora se sentait d’humeur
pieuse et disposée à entendre un office un autre jour que le dimanche et les
grandes fêtes. La jeune fille ne savait pas, dans sa candeur, que, poser la
question de cette façon, c’était déjà y répondre et quand, enfin, elle s’endormit
après avoir brûlé le papier mais déposé la pierre là où elle l’avait ramassée,
elle avait choisi de se rendre à la rencontre de Philippe de Selongey.
Ladite
pierre et la fenêtre abîmée intriguèrent dame Léonarde quand elle les découvrit
le lendemain matin. Les airs innocents des deux filles – bien joués de la part
de Fiora mais tout à fait authentiques chez Khatoun qui n’avait rien vu ni rien
entendu – la convainquirent d’attribuer l’incident à un quelconque ivrogne
comme il en fleurissait des centaines durant les nuits de fête. Évidemment,
elle n’était pas assez simple pour ignorer qu’une pierre lancée par la fenêtre
était un moyen connu de faire parvenir un message mais elle pensa qu’en ce cas
Fiora eût fait disparaître la pierre aussi bien que le billet. Et elle se
rassura tout à fait en pensant que l’expéditeur, s’il s’agissait d’un galant,
ne pouvait être que Luca Tornabuoni ou l’un des autres admirateurs de la jeune
fille. Auquel cas, il n’y avait pas grand mal.
– J’enverrai
réparer cette fenêtre tout à l’heure quand vous aurez pris votre bain.
– S’il
vous plaît, dame Léonarde, faites-le préparer tout de suite. Je voudrais aller
entendre messe à Santa Trinita.
– Est-ce
que vous êtes
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