Fiora et le Magnifique
grattement habituel à la
gouvernante. Elle entra aussitôt.
– Je
ne vous attendais pas avant les petites heures du matin. Que s’est-il passé ?
– Rien,
c’est moi qui ai voulu rentrer. Je ne m’amusais pas autant que je l’avais
espéré, dit Fiora.
– Monseigneur
Lorenzo a dansé avec elle et elle se plaint !
Mais
Léonarde n’écoutait plus. Elle avait aperçu le portrait que Fiora avait déplacé
tout à l’heure pour qu’il soit mieux éclairé par les flammes de la cheminée. Au
bout d’un instant, ses yeux agrandis se tournèrent vers Beltrami :
– D’où
tenez-vous cette image ? demanda-t-elle d’une voix blanche.
– On
me l’a peinte en prenant la ressemblance de Fiora. C’est étonnant n’est-ce pas ?
Il eut
un petit rire faussement désinvolte mais Léonarde n’entendait toujours pas.
– Pourquoi
avoir fait cela ?
– Simplement
parce que je le désirais. N’est-ce pas suffisant ?
Un
énorme soupir qui évoquait le bruit d’un soufflet de forge s’échappa de la
poitrine de la gouvernante :
– Vous
êtes seul juge, messer Francesco, mais vous me permettrez de dire que je n’aime
pas cela. C’est tenter le destin... et même le diable que de prendre à un
visage vivant la ressemblance avec un autre qui ne l’est plus. Si l’enfant
allait...
– Sornettes
que tout cela ! Allez-vous mettre de telles idées dans la tête d’une fille
qui n’a déjà que trop d’imagination... et de curiosité ? Elle a dit être
fatiguée : emmenez-la dormir !
Fiora,
qui avait suivi le court dialogue avec l’attention que l’on devine, alla
présenter son front au baiser de son père puis se laissa emmener sans protestation,
mais le trouble de Léonarde ne lui avait pas échappé et, une fois dans sa
chambre, tandis que Khatoun, mal réveillée, et la gouvernante la déshabillaient
pour la mettre au lit, elle demanda brusquement, en français, pour être
comprise de la seule Léonarde :
– Vous
non plus, vous ne voulez rien dire ?
– A
quel propos ?
– A
propos de ma mère. Pourquoi n’ai-je le droit de connaître que son prénom ?
– C’est
bien suffisant quand vous priez pour elle. Si votre père ne dit rien, c’est qu’il
a ses raisons. Essayez de dormir à présent !
– Je
n’ai pas sommeil et je pense que l’histoire de ma mère est une histoire
terrible.
– Qu’est-ce
qui a pu vous mettre cela dans la tête ?
– Ce
que mon père a fait ce matin...
Et
elle raconta ce qui s’était passé dans le studiolo quand
Francesco avait voulu lui démontrer qu’elle était aussi belle que celle dont il
avait voulu perpétuer le souvenir.
– J’ai
remarqué une tache brune sur la dentelle, et mon père a dû convenir que c’était
du sang. Le sang de ma mère ! Ne pouvez-vous me dire comment elle est
morte ?
Léonarde
qui, pendant le récit avait donné des signes d’agitation, se signa à plusieurs
reprises :
– Non !
... non, ne comptez pas sur moi ! Je vous dirai seulement ceci : votre
mère était une douce et adorable créature que le malheur a poursuivie tout au
long de son existence. L’amour que votre père lui a voué est le seul beau
présent que lui ait fait la destinée. C’est pourquoi nous ne cesserons jamais
de prier pour elle. Dormez à présent !
Empoignant
les rideaux de damas blanc du lit, elle allait les fermer quand Fiora l’en
empêcha :
– Vous
savez bien que je n’aime pas dormir enfermée. Et j’ai encore quelque chose à
dire : ce soir, au palais Médicis, un homme étrange m’a fait une
prédiction.
– Voilà
bien une autre affaire ! Quelle prédiction ? Elle la lui répéta,
ajoutant ;
– Votre
amie Colomba, qui sait toujours tout, doit avoir entendu parler de ce Démétrios
Lascaris ? J’aimerais bien savoir ce qu’elle en pense.
– Certainement
aucun bien ! bougonna Léonarde. Ce ne peut être qu’un charlatan et un
mauvais homme ! Aller mettre des idées pareilles dans la tête d’une enfant
comme vous ! J’espère bien que vous n’en croyez pas un mot ? Quant à
monna Simonetta, tout Florence sait qu’elle n’est pas si bien portante. Qu’un
médecin soit capable de voir plus loin, c’est possible, mais il n’avait pas à
vous mêler à ses folies. Où pourriez-vous être l’an prochain, grands dieux,
sinon ici ou à Fiesole ? ... A moins que votre père n’ait décidé de vous
emmener dans l’un de ses voyages auquel cas vous aurez
Weitere Kostenlose Bücher