Fiora et le Magnifique
par les torches
qui, dans la cour, brûlaient à des griffes de fer.
La
porte s’ouvrit sans un grincement, découvrant le miroitement des marqueteries
précieuses. Fiora fit entrer Chiara, referma soigneusement puis alla droit au
portrait. D’une main, elle ôta le velours protecteur cependant que, de l’autre,
elle éclairait le visage blond qui, soudain, parut reprendre vie...
– Mais,
fit Chiara, c’est toi ! ... et pourtant, ce n’est pas vraiment toi... Cela
vient peut-être de ces cheveux blonds...
– C’est
moi qui ai posé, sans m’en douter d’ailleurs, mais ce portrait est celui de ma
mère, Marie de Brévailles.
– Je
croyais que tu ne savais même pas son nom ?
– C’était
vrai. Je ne l’ai appris qu’il y a bien peu de temps. A présent je vais, si tu
le veux, te raconter son histoire. C’est pour cela que je t’ai amenée ici... Le
veux-tu ?
En
guise de réponse, Chiara s’installa sur l’un des sièges, croisa les mains et
attendit cependant que Fiora allumait l’une après l’autre les bougies du grand
chandelier.
– Pourquoi
tant de lumière ? demanda Chiara.
– Parce
que je vais ouvrir devant toi un abîme sanglant. Les ombres en seront moins
denses, même pour moi. Songe que c’est seulement hier que mon père m’a tout
raconté ! Hier... et cependant il me semble à présent que j’ai toujours
su...
– As-tu
vraiment envie de parler ? Tu peux te taire encore si tu le préfères ?
– Non.
Je vais te dire mais je ne m’assiérai pas auprès de toi. Je vais me tenir là,
près de cette fenêtre afin que tu ne me voies pas. Ensuite... lorsque j’aurai
fini, tu pourras quitter cette pièce et cette maison sans te retourner si tu le
juges bon !
– Mais...
– Ne
dis rien ! Tant que tu ne sais pas, tu ignores ce que tu penseras alors et
moi je veux te laisser libre. J’ajoute seulement que si tu pars, je ne t’en
voudrai pas !
Lentement,
Fiora s’éloigna de la zone lumineuse. Sa robe noire se fondit dans les ombres
de la pièce. Impressionnée, Chiara serra ses mains l’une contre l’autre et
ferma les yeux, attendant ce qui allait venir avec une angoisse dont elle ne
pouvait se défendre. La voix, chaude et calme, de Fiora lui parvint alors comme
du fond des âges.
– Chacun
croit ici que je suis née secrètement dans les draps de fine toile d’un château
français. Rien n’est plus faux ! J’ai ouvert les yeux, à Dijon, sur la
paille de la prison où ma mère attendait la mort... et je ne suis pas la fille
de Francesco Beltrami.
Ignorant
le « oh ! » stupéfié de son amie, Fiora, avec une étonnante sûreté de
mémoire, refit pour elle le récit de son père sans en omettre le moindre détail ;
mais, en passant par cette jeune voix, tour à tour assourdie ou vibrante, le
roman tragique de Jean et Marie de Brévailles se para de couleurs d’une rare
intensité. Les yeux rivés au portrait, Chiara osait à peine respirer, suspendue
qu’elle était à cette voix de l’ombre qui faisait renaître pour elle les
flammes d’une passion irrésistible, allumée sur la grisaille d’un quotidien
sordide, la fuite vers l’impossible vie commune, la traque, enfin la sentence
de mort, l’exécution et ses détails ignobles contre lesquels s’était dressé l’amour
soudain et total, absolu, d’un passant. La jeune Florentine croyait entendre l’un
de ces récits fantastiques comme en contaient, dans les carrefours, les
chante-fables mais celui-là avait les résonances inimitables de la vérité. Et
le charme subsista un moment après que la voix de Fiora se fut éteinte. Un
silence suivit, si profond, qu’il devint bientôt insupportable à la conteuse. L’attente
d’un verdict qui, à présent, lui faisait peur, serra sa gorge. Cependant,
Chiara ne réagissait toujours pas. Ses traits s’étaient figés et ses yeux
agrandis contemplaient le néant. Elle ne disait rien.
Soudain
elle se leva d’un mouvement brusque et le cœur de Fiora manqua un battement...
Mais au lieu d’aller vers la porte, Chiara vint droit à son amie :
– Pourquoi
pensais-tu que j’allais te tourner le dos ?
– Cela
tombe sous le sens, il me semble ?
– Pas
pour moi. Réponds d’abord à une question : qu’éprouves-tu lorsque tu
penses à tes parents ? De la honte ?
– Non...
oh non ! Une grande pitié dans laquelle il y a de la tendresse. J’ai presque
l’âge de ma mère quand elle est morte et j’imagine mal
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