Fiora et le Magnifique
Fiora est née des amours de Francesco avec une noble
dame française !
– Tu
dis sornettes et moi je dis mensonge ! Mon cousin Beltrami a ramassé cette
fille dans le sang de l’échafaud où venaient de périr son père et sa mère pour
le double crime d’inceste et d’adultère !
Elle
avait hurlé si fort que Lorenzo eut un mouvement de recul comme si le souffle
de la femme eût été celui-là même de l’enfer. Le gonfalonier Petrucci en
profita pour prendre la parole, conscient de l’imperceptible changement qui
commençait à se produire dans la foule, cette foule florentine passionnée et
versatile, capable sur un mouvement d’humeur d’envoyer à l’échafaud le soir
celui-là même qu’elle idolâtrait le matin. C’étaient de ces courtes vagues
rapides qui se lèvent soudain sur une mer calme, frissons qui annoncent la
fièvre et qui présagent la tempête...
– Monna
Hieronyma dit-il, les paroles que tu viens de prononcer sont bien graves et tu
comprendras que la Seigneurie ne puisse les accepter sans preuves. Ces preuves,
les as-tu ?
– Oui.
J’ai reçu les confidences d’un homme qui était présent à Dijon, en Bourgogne,
le jour de la double exécution, le jour où mon cousin a adopté cette... cette
pourriture ! Il y a d’ailleurs, ici même, un autre témoin : cette femme,
ajouta-t-elle en désignant Léonarde du doigt, qu’il a ramenée alors avec lui
pour s’occuper de cet être que l’on aurait dû jeter à l’égout mais certes pas
couvrir du beau nom de Florentine et qui est là, derrière le corps de mon
malheureux cousin, se parant du nom de fille qu’elle n’a pu devoir qu’à une
machination du diable...
Cette
fois, la foule gronda. Hieronyma savait ce qu’elle faisait en évoquant les
pratiques de la sorcellerie et, avec une joie mauvaise, sentit qu’elle était en
train de gagner. Avec un peu de chance, la multitude allait prendre feu, se
jeter sur cette Fiora qu’elle haïssait et qui, les mains sur son visage, s’efforçait
de ne plus rien voir, pour la mettre en pièces... Mais Lorenzo, d’abord
surpris, n’entendait pas se laisser ainsi mener par une femme hystérique ni
dicter son devoir par un peuple qui reconnaissait son autorité parce qu’il le
faisait riche. Enfin, il détestait depuis toujours les Pazzi dont il se méfiait
comme de la peste.
– En
voilà assez ! cria-t-il. J’ai déjà dit et je répète que cette scène devant
une église est scandaleuse, que les funérailles d’un homme toujours respecté et
admiré ne doivent pas servir de prétexte à règlement de comptes. Si Francesco
Beltrami a, sur ce qui n’a pu être qu’un élan du cœur, manqué aux lois de notre
cité, nous en jugerons par la suite... Pour le moment...
– Je
te prie de m’excuser, coupa Petrucci, mais qu’entends-tu lorsque tu dis « par
la suite » ?
– J’entends
lorsque Francesco Beltrami reposera dans le tombeau qui l’attend.
– Tu
acceptes donc qu’aussitôt après celle que nous appelions sa fille, la
gouvernante et l’accusatrice ainsi que le témoin de celle-ci soient menés à la
Seigneurie pour y être entendus et confrontés ?
Le
Magnifique hésita. Son regard sombre parcourut le groupe de ses amis, de ses
gardes puis passa sur toutes ces têtes, tous ces visages où. il pouvait lire la
même attente. Il vit Fiora en larmes, soutenue par une Léonarde blême et par
une Chiara Albizzi dont les yeux étincelaient de colère mais des cris fusaient d’un
peu partout :
– Justice !
Il faut faire selon le droit ! – et même, hélas – A mort la sorcière !
Il
comprit qu’il ne gagnerait rien à s’opposer à la demande du gonfalonier. Il
savait trop qu’il devait son pouvoir à l’adhésion du plus grand nombre et qu’une
affaire comme celle-là risquait d’être un excellent prétexte à une rébellion.
– Soit !
dit-il enfin. Il en sera fait selon le droit de notre cité.
– En
ce cas, gardes de la Seigneurie, assurez-vous de ces femmes et menez-les au
palais où elles attendront qu’il soit statué sur leur sort !
Comprenant
alors qu’on allait lui voler le droit d’accompagner son père bien-aimé jusqu’au
bout du chemin, Fiora se révolta :
– Je
veux, cria-t-elle, assister aux funérailles de mon père ! Il était ce que
j’avais de plus cher au monde..,
– S’il
n’est pas ton père, ricana Petrucci, tu n’as rien à y faire !
– J’ai
été légalement adoptée
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