Fiora et le Magnifique
corporation la
moins prisée de la ville parce que la plus accessible... La Seigneurie au grand
complet se tenait à la loggia del Bigallo, face à la porte sud du Baptistère.
Enfin aux abords mêmes du Duomo, Lorenzo et Giuliano de Médicis, vêtus de
velours noir et entourés de leur famille, de leurs amis. Pas un poète, pas un
philosophe, pas un peintre qui ne fût présent ! Sandro Botticelli était là
et aussi le Verrocchio avec ses élèves : le Pérugin, Léonardo da Vinci, et
aussi les apprentis qui broyaient les couleurs, nettoyaient les pinceaux et
veillaient au ravitaillement de l’équipe. Il y avait... mais il était
impossible de mettre un nom sur tous les visages.
La
splendeur venait tout entière de l’église. Devant les portes ouvertes de la
cathédrale au fond de laquelle brasillait une forêt de cierges, les chapes d’or,
les robes de pourpre, les mitres scintillantes de l’évêque et des abbés de
plusieurs monastères composaient une fresque fabuleuse évoquant la magnificence
inouïe de ce paradis vers lequel s’avançait l’âme de Francesco Beltrami.
Le son
des cloches tombait de toute la hauteur du campanile élancé, dont la grisaille
de ce jour n’arrivait pas à éteindre les riches couleurs, cependant qu’à l’intérieur
de l’église s’élevait la voix profonde des orgues que celles d’une trentaine de
jeunes chantres rejoindraient dans un instant, quand le défunt pénétrerait dans
le sanctuaire.
Les
porteurs s’avançaient déjà pour suivre le clergé qui commençait à rentrer
quand, soudain, une femme drapée de voiles noirs se dressa devant eux, les bras
écartés :
– Arrière !
L’homme que vous portez vers ce saint lieu est mort en état de péché ! Il
n’entrera pas tant que la vérité ne sera pas connue de tous !
– Hieronyma !
gémit Fiora. Mon Dieu, que va-t-elle faire ?
– J’ai
bien peur de m’en douter, murmura Léonarde. En tout cas elle ne manque pas d’audace !
Si messer Francesco est mort sans confession elle y est sûrement pour quelque
chose !
– J’en
suis sûre ! Malheureusement, nous n’avons aucune preuve pour l’accuser et
elle le sait...
Cependant,
des remous se formaient dans la foule d’où s’élevait un murmure dont il était
impossible de démêler s’il était de colère ou de scandale. Le capitaine
Savaglio qui avait suivi en longeant la foule la marche de Fiora, s’élança pour
repousser la perturbatrice qui se débattit vigoureusement en hurlant :
– On
ne me fera pas taire ! Il faut que justice soit rendue et que le scandale
cesse !
– Tiens-toi
tranquille, femme et sors d’ici ! tonna Savaglio. C’est ta conduite à toi
qui es scandaleuse et sacrilège ! S’il y a quelqu’un ici qui ait droit de
réclamer justice, c’est ce mort que l’on a vilainement occis...
Il
appelait d’un geste, ses hommes à la rescousse quand le gonfalonier le
rejoignit :
– Lâche
cette femme ! C’est la loi et c’est l’honneur de notre ville que chaque
citoyen puisse s’y exprimer librement.
– Librement,
oui, mais pas n’importe quand !
– C’est
aussi mon avis, dit la voix rauque de Lorenzo de Médicis qui intervenait à son
tour. Nous sommes ici pour un dernier adieu à l’un des nôtres, l’un des
meilleurs et ceci est indécent ! Retire-toi, Hieronyma Pazzi. Si tu as une
plainte à formuler, elle sera entendue mais plus tard ! On ne fait pas
attendre un mort devant la maison de Dieu !
Mais
Hieronyma savait bien que, parmi ces gens, il y en avait qui avaient jalousé et
détesté Francesco Beltrami, que, d’autre part, en parlant de scandale elle
éveillait bien des curiosités malsaines. De toute la force de sa voix, elle
cria :
– Ce
mort est de mon sang. Pourtant j’en appelle contre lui au jugement du peuple
car il a usé de mensonge et de dissimulation ! Il ne mérite pas la pompe
qui l’attend ici. Il a trahi Florence et avili la qualité de citoyen de notre
république en faisant passer pour sa fille une créature née dans les
circonstances les plus déshonorantes !
– Te
tairas-tu ? gronda Lorenzo. Ta vertueuse indignation, qui me paraît un peu
tardive puisque Fiora Beltrami n’était qu’un bébé quand Francesco l’a ramenée
ici, ne viendrait-elle pas plutôt d’un vif désir de te faire attribuer un
héritage intéressant ?
– Je
n’ai découvert la supercherie que depuis peu et...
– Sornettes !
Nous savons tous que donna
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