Fiora et le Magnifique
cette
phrase lui apporta un réconfort. Ses chers philosophes grecs savaient toujours
ce qu’il fallait dire et ils correspondaient bien davantage à son tempérament
combatif que les préceptes résignés de l’Évangile. Platon disait qu’il fallait
fuir sans se retourner la compagnie des méchants alors que le Christ
recommandait d’aimer son prochain comme soi-même. Or il était impossible à
Fiora d’avoir pour Hieronyma des sentiments fraternels. Si elle devait mourir
dans trois jours, elle mourrait en la haïssant et elle ne pourrait jamais lui
pardonner, pas plus qu’elle ne pardonnerait aux persécuteurs de sa mère ou à l’homme
qui, par dévouement pour son prince, lui avait fait à elle tant de mal.
Les
douces notes de l’Angélus coulèrent sur cette âme révoltée sans lui apporter l’apaisement.
Fiora n’avait même pas envie de prier mais, comme elle avait froid, elle s’enroula
dans sa couverture et se coucha pour chercher le sommeil. Qui d’ailleurs ne la
fit pas attendre tant son jeune corps épuisé réclamait le repos. Quelques
instants après avoir fermé les yeux, Fiora s’endormait profondément.
Impressionné
sans doute par l’angoisse de ce qu’elle allait devoir subir bientôt, son esprit
l’entraîna dans un mauvais rêve. Elle se vit debout, pieds nus et en chemise au
bord d’un fleuve bouillonnant, sulfureux, qui n’avait que de lointaines
ressemblances avec le flot familier. Sur l’autre rive, en face d’elle, Philippe
de Selongey était debout ; il lui tendait les bras et l’appelait. Elle
voulait s’élancer vers lui mais des liens la retenaient, toujours plus
nombreux, toujours plus lourds, des liens que des mains cruelles accumulaient.
Et Philippe appelait encore... Enfin, elle se sentit poussée violemment et l’eau
l’engloutit ; elle réussit à remonter à la surface et le flot la porta
mais, sur l’autre berge, Philippe à présent riait, riait des efforts inouïs qu’elle
faisait pour le rejoindre. Elle le vit tendre la main vers une femme sans
visage qui s’approchait de lui et que, dans son rêve, Fiora savait être très
belle. A présent, ils riaient ensemble puis, se détournant, s’éloignèrent en se
tenant enlacés. Fiora essaya de crier mais aucun son ne sortit de sa bouche que
l’eau emplit...
Une
secousse la réveilla. Encore haletante de son cauchemar, elle se dressa sur son
séant et vit qu’une religieuse se tenait auprès de son lit et que le jour
commençait à poindre. Cette fois, ce n’était plus une converse mais une
religieuse de chœur dont la vêture impeccable habillait un corps long et mince.
Dans l’ovale étroit laissé par la guimpe blanche, le visage sans âge ne
manquait pas d’une certaine beauté due à la régularité des traits mais aucune
douceur n’en atténuait la sévérité...
– Lève-toi !
ordonna la dominicaine, et suis-moi ! Machinalement, Fiora obéit et vit
alors que la grosse sœur de la veille était agenouillée sur le carrelage et occupée
à le nettoyer. Elle releva la tête quand Fiora passa auprès d’elle et cracha
avec une telle expression de haine qu’un frisson courut le long du dos de la
jeune femme.
– Où
me conduis-tu ? demanda Fiora sans obtenir la moindre réponse. La haute
silhouette blanche et noire marchait devant elle d’un pas si glissant qu’il n’imprimait
qu’un léger mouvement à la robe et Fiora eut l’impression de suivre un fantôme.
On traversa ainsi quelques couloirs, on longea la chapelle faiblement éclairée
dans laquelle on pouvait entendre les voix accordées des nonnes chantant l’office
de l’aube et l’on atteignit le cloître dont Fiora avait gardé le souvenir. Là,
son guide ouvrit devant elle la porte d’une cellule qui se trouvait dans l’angle
le plus éloigné de la chapelle :
– Pour
t’éviter le péché de délation, notre révérende mère a décidé de te loger ici
jusqu’au jour du jugement. Bien entendu, tu n’en sortiras pas mais tu trouveras
sur la couche des habits propres pour remplacer ton vêtement sali...
– Tu
remercieras pour moi la révérende mère, murmura Fiora qui ajouta : Puis-je
espérer aussi pouvoir assister aux offices ?
– N’en
demande pas trop ! aucune de nos sœurs ne souhaite t’approcher et je t’ai
déjà dit que tu ne sortirais d’ici que pour l’ordalie. Repens-toi !
– De
quoi ?
– Si
tu ne le sais pas, Dieu le sait ! Mais je crois que tu n’en ignores
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