Fiora et le Magnifique
naturellement, du résultat de l’épreuve. En attendant, elles
seraient conduites l’une l’autre au couvent des dominicaines de Santa Lucia
pour s’y recueillir et y vivre dans la prière jusqu’à l’heure du jugement.
Fiora
cacha sa déception. Elle avait espéré qu’on la laisserait attendre chez elle,
dans son cadre familier, l’instant suprême et cela même lui était refusé. Comme
pour son père, le voyage entrepris le matin serait le dernier... Dieu,
décidément, était parfois bien cruel et la jeune femme n’espérait guère qu’il
fît un miracle en sa faveur.
Avec
des larmes dans les yeux, elle embrassa Léonarde qui sanglotait sans retenue
après qu’on lui eut refusé de suivre le destin de l’enfant qu’elle avait
élevée. La gouvernante avait la permission de retourner au palais Beltrami
jusqu’au résultat de l’épreuve. On statuerait alors sur son cas.
– Sois
sans crainte, murmura Lorenzo de Médicis qui avait réussi à s’approcher de
Fiora, je veillerai sur elle si...
Il n’osa
pas formuler la fin de la phrase mais la jeune femme comprit que son
scepticisme n’attendait pas grand-chose des interventions célestes.
– ...
je la prendrai dans ma maison, conclut-il mais Léonarde ne l’entendait pas de
cette oreille :
– Si
vous permettez que mon enfant laisse sa vie dans ce jugement stupide,
déclara-t-elle en français, je ne resterai pas un jour de plus dans cette ville
infâme et jusqu’à mon jour dernier je prierai Dieu pour qu’il la couvre de ses
malédictions !
– Attendons
déjà de voir comment il jugera... soupira Lorenzo impavide.
Mais
déjà les soldats s’apprêtaient à conduire les deux ennemies au couvent. Une
dernière fois, Fiora embrassa Léonarde qui s’accrochait à elle.
– Veillez
sur ma maison et sur tous ceux qui y demeurent. Prenez soin de Khatoun. Elle n’a
pas plus de forces qu’un petit chat...
Au-dehors,
on retrouva la foule qui, par on ne sait trop quel mystère, savait déjà à quoi
s’en tenir. Sa longue attente l’avait rendue plus houleuse encore que durant
les funérailles de Beltrami et ce fut au milieu des quolibets, voire des
injures que les deux femmes gagnèrent le couvent qui se trouvait non loin de la
porte San Niccolo. Pas un visage ami ne se montra durant cette pénible marche,
sinon, à l’angle de la loggia dei Priori, la longue silhouette de Démétrios
Lascaris dont le regard accompagna Fiora tant que ce fut possible mais il ne
fit pas un geste et la jeune femme, se souvenant de l’aide qu’il lui avait
offerte quand elle n’en avait nul besoin, pensa que cet homme, pour étrange qu’il
fût, était exactement comme les autres : soucieux avant tout de sa propre
sécurité. D’ailleurs, en y réfléchissant bien, il n’avait vraiment aucune
raison de s’intéresser à elle en particulier... Ce qui n’empêchait pas cette
dernière défection de lui être pénible et, quand la lourde porte de Santa Lucia
se ferma derrière elle, Fiora eut l’impression d’entendre retomber la pierre de
son tombeau...
Assise
sur son lit misérable, Fiora revivait sans cesse les heures de cette terrible
journée. Elle se sentait lasse et moulue comme si on lui avait tapé dessus avec
un bâton. Cette cellule représentait pour elle l’ultime déception car elle
savait, pour y être venue en visite deux ou trois fois avec Chiara dont la
prieure, Mère Maddalena degli Angeli était vaguement cousine, que les nonnes et
les dames qui venaient faire retraite au couvent disposaient d’une chambrette
austère sans doute mais d’une parfaite propreté. Ornée d’image saintes et
ouvrant sur le cloître au centre duquel fleurissait un beau jardin. L’étroite
fenêtre de son logis, à elle, encore rétrécie par deux barreaux en croix, donnait
sur la cour de derrière où s’entassaient les détritus et où se trouvaient les
latrines. L’odeur en était pénible et, prison pour prison, Fiora regretta qu’on
ne l’eût pas enfermée plutôt dans un véritable cachot car cet endroit ignoble
donnait la juste mesure de la considération qu’on lui portait.
Ses
dernières illusions, si tant est qu’elle en eût encore, s’envolèrent quand, à
la nuit tombante, une sœur converse dont la robe constellée de taches
proclamait qu’elle travaillait à la cuisine, lui apporta un morceau de pain
rassis, une cruche d’eau et une écuelle de soupe aux choux dans laquelle
nageait un morceau de lard rance.
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