Fiora et le Pape
questions. Dans un flot de taffetas mordoré,
de fourrures fauves et de dentelles neigeuses, donna Catarina, débitant un
torrent de paroles, envahissait déjà l’escalier et faisait irruption dans la
pièce où se tenait Fiora. Sa grossesse presque à terme la faisait aussi large
que haute, mais son visage demeurait frais comme une rose et elle n’avait rien
perdu de sa combativité :
– Je
viens vous chercher ! clama-t-elle un peu essoufflée tout de même avant de
s’affaler au milieu des coussins de l’un des divans bas, ce qui lui mit le
ventre à la hauteur du menton. Et grâce à Dieu, j’arrive à temps !
– A
temps pour quoi, Madonna ?
– Mais
pour vous empêcher de faire cette folie de partir à l’aurore, seule et certainement
encore mal remise, d’après ce que me dit Anna.
– Je
n’ai pas le choix. Le rabbin Nathan revient demain et ma présence lui serait
désagréable. Je ne peux pas le lui reprocher. Il tient à garder la protection
du ... Saint-Père !
La
jeune comtesse sourit, ce qui fit rayonner son visage et plisser ses taches de
rousseur :
– On
dirait que le mot a du mal à passer ? Ne lui en veuillez pas trop ! Il
serait assez bon homme, au fond, si son entourage familial ne le poussait pas à
des excès regrettables. Mais nous allons avoir tout le temps de parler.
Préparez-vous, je vous emmène !
– Pardonnez-moi,
donna Catarina, mais... où donc ?
– Chez
moi, voyons ! Ne prenez pas cet air effarouché ! Mon époux est parti
vers le milieu du jour pour un domaine que son oncle vient de lui offrir à
Segni. Cela nous donne quelques jours pour d’abord vous reposer un peu plus.
Ensuite, c’est moi qui vous donnerai les moyens de gagner Florence. Ne cherchez
pas, Khatoun m’a renseignée. Comme je sais qu’elle a été élevée au palais Beltrami,
car elle ne m’a rien caché de sa vie passée, je n’ai pas eu de peine à deviner
qui pouvait être cette amie malade qu’elle tenait à visiter chaque jour.
– Et
vous voulez m’aider à rejoindre Florence, vous, la comtesse Riario ?
– Non.
Moi, Catarina Sforza ! Mes parents et les Médicis entretenaient d’excellentes
relations et vous vous souvenez peut-être de cette visite que nous avions faite
à Florence, en grand apparat, voici quelques années ?
– Je
ne l’ai jamais oubliée ! Votre Grâce était encore une enfant... Le cortège
du duc de Milan était magnifique.
– Et...
Giuliano de Médicis l’était plus encore ! J’avoue qu’à ce moment, je suis
tombée amoureuse de lui... un peu aussi de Lorenzo, si laid mais si fascinant !
Or, le hasard m’a fait découvrir que le comte Riario... mon époux, fomente
contre eux un complot avec ce vilain singe de Francesco Pazzi et votre ami
Montesecco !
– Montesecco ?
Je l’ai vu hier, dans cette rue. Il sortait du palais Cenci et il s’intéressait
beaucoup aux maisons de ce côté.
– Cela
n’a rien d’étonnant. Il est possible que les Cenci trempent aussi dans la
conspiration. En quels termes êtes-vous avec les Médicis ?
– Lorenzo
m’a sauvé la vie, aidée à fuir, protégée par-delà l’exil, et je sais qu’il n’a
jamais cessé de veiller sur mes intérêts. C’est pourquoi le chemin de sa ville
m’est apparu comme le seul par lequel je puisse rentrer en France et rejoindre
mon fils.
– C’est
pourquoi j’ai décidé de vous aider à fuir Rome. Il faut que je puisse envoyer
quelqu’un de sûr à Florence, quelqu’un d’assez éloigné de moi pour que mon rôle
dans cette affaire ne soit jamais connu, car alors ma vie ne vaudrait pas cher.
Par chance vous êtes là et, à nous deux, nous parviendrons peut-être à éviter
un grand malheur.
– Si
grand que cela ?
– Jugez
plutôt ! Mon époux et ses amis veulent faire assassiner les Médicis. Et
cela prochainement... Mais nous perdons du temps ! Pressez-vous, je vous
en prie !
Fiora
n’était pas encore décidée. Elle n’aimait pas l’idée de séjourner, même deux ou
trois jours, au palais Riario où elle craignait de se jeter dans la gueule du
loup. D’autre part, ce qui s’y tramait était franchement abominable et
contraire à ses propres intérêts. Que les Médicis soient abattus et que Riario
devienne le maître de Florence, et tout s’évanouissait des espoirs qu’elle y
plaçait.
– Si
l’on apprend que je suis venue chez vous, dit-elle, ne croyez-vous pas que
votre époux fera le rapprochement au cas
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