Fiora et le Pape
Des cordons de soldats
gardaient l’entrée de toutes les rues.
– J’arrive
de Rome et j’ai un message pour monseigneur Lorenzo, dit Fiora à l’un des
sergents. Laisse-moi passer ! Il faut que j’aille au palais...
– Tu
iras plus tard, mon garçon ! Tu n’as donc pas entendu les cloches ? La
messe est commencée et monseigneur Lorenzo y assiste avec son frère et ses
amis... Attends ! ajouta-t-il, apitoyé par ce mince visage poussiéreux et
si visiblement fatigué, je vais te faire entrer dans l’église. En te faufilant,
tu pourras peut-être arriver jusqu’à lui.
Entraînée
par la poigne solide du soldat, Fiora se retrouva bientôt sous le portail du
Duomo dont les portes monumentales, largement ouvertes, laissaient sortir des
flots d’harmonie. Rocco avait suivi, collé à ses talons :
– Comme
tu vois, fils, l’église est pleine. A toi de t’arranger comme tu pourras !
fit le sergent. Je retourne à mon poste avant que la foule m’empêche de le
rejoindre.
Approcher
de l’autel auprès duquel devaient se tenir les frères Médicis, leur famille et
leurs amis, semblait difficile car il y avait du monde jusque dans l’allée
centrale laissée vide, habituellement, pour marquer la frontière entre les
hommes et les femmes. Mais, cette église, Fiora la connaissait depuis l’enfance
et elle entreprit de se glisser par les bas-côtés en murmurant à ceux qui
tentaient de l’empêcher de passer et en agitant la lettre de Catarina :
– Un
message pour monseigneur Lorenzo ! Un message pour monseigneur Lorenzo !
Il
faisait une chaleur de four. La foule qui se pressait entre les murs de Santa
Maria del Fiore était si dense qu’elle restituait dans l’immense vaisseau de
marbre la chaleur qui commençait à grandir sur la ville, séchant enfin les
ruisseaux et les flaques boueuses que les pluies incessantes de la Semaine
sainte avaient grossis. L’odeur de l’encens, si généreusement brûlé que ses
épaisses volutes montaient jusqu’en haut de l’immense dôme, se mêlait à celle,
plus fade, des centaines de cierges brûlant autour de l’autel et à la senteur
des fleurs dont on avait composé un tapis et qui mouraient lentement.
Dans
la nef s’entassait une brillante assistance, toute de satin et de velours,
dorée, constellée de pierreries et plus proche de la cour frivole d’un prince
terrestre que d’une assemblée de dévots chrétiens réunis pour célébrer le Saint
Sacrifice. On se saluait, on bavardait, on se passait, à voix à peine feutrée,
le dernier potin, le plus récent poème. On s’examinait. On critiquait toilettes
et coiffures. Derrière cette foule chamarrée, le petit peuple bataillait de son
mieux pour apercevoir, dans le chœur, les deux maîtres de la ville. Lorenzo,
tout de noir vêtu mais portant à sa toque un diamant qui valait un royaume, et
Giuliano, tout de pourpre et d’or, beau et rayonnant comme une statue d’Apollon
et joyeux comme un page en vacances.
Quand
elle les vit enfin, Fiora sentit son cœur chanter de joie. Ils étaient vivants,
bien vivants et, dès que l’office prendrait fin, elle pourrait délivrer son
message. Dieu avait permis qu’en dépit de sa route impossible, elle n’arrivât
pas trop tard ! Et c’était si bon de revoir enfin ces visages qui lui
avaient été chers... et qui l’étaient encore.
Dans
le chœur, quelqu’un d’autre leur disputait, ce matin, la curiosité du public.
On se montrait, mince et pâle, si jeune sous ses dentelles et sa pesante
pourpre cardinalice, ce jeune prince de l’Eglise de dix-huit ans qui semblait
grandi trop vite. Le moindre de ses gestes allumait des feux sur sa mitre de
drap d’or givrée de pierres précieuses et sur les soleils d’or brodés sur ses
gants d’écarlate. A vrai dire, Rafaele Riario n’avait pas l’air très à son
aise, mais chacun mettait cette attitude sur le compte de la timidité, seyante
et même touchante chez un jeune homme chargé d’une telle grandeur. Les femmes
le trouvaient charmant, à cause de ses yeux languides et des fréquentes
rougeurs qui fardaient ses pommettes, mais les hommes, devant son évidente
fragilité, bombaient le torse et se sentaient confirmés dans leur supériorité
de mâles ; contents d’eux, ils l’étiquetaient avec une satisfaction un
brin dédaigneuse : un blanc-bec !
Une
partie du clergé et les prêtres de sa suite entouraient l’espèce de trône où on
l’avait assis et où
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