Fiora et le Pape
comme le
proposait Rocco. A cette heure matinale, les portes de la ville n’étaient pas
encore ouvertes. En outre, on y aurait certainement des nouvelles. Si les Pazzi
avaient déjà frappé, il faudrait décider de ce que l’on ferait car, alors,
entrer dans la cité serait une folie.
Enfin,
les deux voyageurs avaient grand besoin de se restaurer.
Le
sourire du frère portier rendit courage à Fiora. Si Florence avait été, la
veille, le théâtre d’une catastrophe, le moine n’arborerait certainement pas
cette mine paisible. Tandis que les nouveaux venus s’attablaient dans la salle
des hôtes devant un fromage et une miche de pain, il répondit de bonne grâce à
leurs questions : la ville avait été en fête la veille, et jusqu’à une
heure sans doute assez avancée dans la nuit. Le frère chargé des commissions
était revenu émerveillé par le cortège du jeune cardinal légat et par le grand
accueil que lui avaient fait leurs seigneuries de Médicis. En ce jour de
Pâques, le grand événement serait la messe que Mgr Riario présiderait dans le
Duomo en présence des nobles de la ville et de tout ce que la cathédrale
pourrait contenir de peuple...
Pendant
que le moine allait chercher un nouveau pichet d’eau fraîche, Rocco interrogea
Fiora :
– Les
portes doivent être ouvertes. Te sens-tu capable de continuer ?
– Il
le faut. Certes, il n’y a rien à craindre durant la messe, mais plus tôt
Lorenzo sera prévenu et mieux cela vaudra.
– Je
suis d’accord, d’autant plus que la messe ne m’inspire pas tellement
confiance...
– Tu
es fou ?
– Non,
mais j’ai des souvenirs. Dans ma vie, j’ai forcé les portes de trop de couvents
et violé assez de moniales pour savoir ce que pèse la crainte de Dieu quand la
puissance est en jeu. Mais nous avons encore une grande demi-lieue à couvrir
avant les portes de Florence... et il va falloir les faire à pied.
En
dépit des efforts de Fiora pour obtenir une monture quelconque, il leur fallut
se résoudre, malgré la fatigue, à continuer avec leurs seuls moyens. Mais, en
voyant la foule qui, venue de partout, commençait à cheminer vers la ville,
Fiora en vint à penser qu’il eût été impossible d’aller plus vite, à moins d’écraser
du monde. De toutes les campagnes, des paysans marchaient vers Florence comme
vers une nouvelle Jérusalem pour tenter d’apercevoir l’envoyé du Saint-Père.
Cette affluence tenait beaucoup à ce que le mauvais temps avait cessé
brusquement. Le soleil, un vrai soleil pascal, dorait tout le pays où les
clochers, l’un après l’autre, s’éveillaient de leurs voix de bronze pour
proclamer à la face de cette terre des trahisons, des guerres, des meurtres, de
la nuit et de la peur, que le Fils de l’Homme venait de ressusciter et ramenait
avec lui l’espoir d’une vie éternelle...
Au
cours de la dernière nuit, Fiora avait définitivement abandonné son tabard
armorié qu’elle avait jeté dans une rivière après l’avoir solidement noué
autour d’une grosse pierre, mais son justaucorps de daim, cependant délacé pour
mieux respirer, lui semblait lourd à porter et elle eût avec joie échangé ses
hautes bottes contre une paire de sabots. Le flot enthousiaste qui avait vidé
les villages porta les deux voyageurs jusqu’aux remparts de Florence que Fiora,
oubliant fatigue et angoisse, regarda monter vers elle avec une joie qu’elle ne
pouvait retenir. Il y avait si longtemps qu’elle attendait le moment, béni
entre tous, qui lui permettrait de revoir la ville bien-aimée de sa douce
enfance ! Et Florence l’accueillit au carillon de toutes ses cloches et
dans la joie tumultueuse de ses rues pavoisées.
A
mesure que l’on avançait par les rues, le flot devenait plus puissant, plus
violent aussi.
– Nous
ne pourrons pas en sortir, murmura Rocco qui n’aimait pas se sentir bousculé.
Est-ce que nous allons vers le palais Médicis ? demanda-t-il tandis que la
vague se rétrécissait pour franchir le Ponte Vecchio entre sa double rangée de
boutiques aux volets clos.
– Oui
et non. Nous allons d’abord au Duomo. Le palais est un peu plus loin...
En
jouant des coudes et des pommeaux de leurs épées, ils parvinrent à gagner du
terrain et débouchèrent sur cette place que Fiora connaissait pour y avoir vu s’écrouler
son univers au jour terrible des funérailles de son père. Mais ils s’aperçurent
alors qu’il était impossible d’aller plus loin.
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