Fiora et le Pape
eût au moins une épée convenable,
cependant que Rocco achevait son adversaire, quand, tombant des stalles qu’ils
avaient escaladées, les deux frères Cavalcanti arrivèrent comme des boulets de
canon et dégagèrent leur ami. Lorenzo put respirer, d’autant plus que, devant
ce secours inattendu, les deux prêtres – Antonio de Volterra et Stefano,
précepteur chez les Pazzi – abandonnèrent la partie, leurs dagues n’étant plus
de taille contre des épées de combat. Fiora en profita pour courir vers Lorenzo
et, prenant son épée par la lame, elle la lui tendit :
– Tiens !
Tu te battras mieux avec ça et moi je ne sais pas m’en servir !
– Fiora !
murmura-t-il avec une soudaine douceur qui fit chaud au cœur de la jeune femme,
mais déjà il lui criait de s’écarter, de se mettre à l’abri. Par la droite du
chœur, une troupe armée à la tête de laquelle Fiora reconnut Francesco Pazzi
accourait à la curée. Cette fois, ils étaient au moins vingt !
Tandis
que Démétrios, qui avait crié « Je m’en charge ! », traînait la
jeune femme à l’écart, Rocco franchit la balustrade d’un bond léger et tomba
face au banquier :
– Je
commence à t’avoir un peu trop vu, toi ! cria-t-il en attaquant
furieusement. Mais, sorti on ne savait trop d’où, un beau jeune homme,
superbement vêtu, vint s’interposer entre les deux hommes au risque d’être
embroché :
– Laissez-moi
ce chien puant, messer ! cria-t-il en tombant en garde. Le sang qui est
sur mon épée est celui de Giuliano. Je viens de l’y tremper en jurant que son
assassin ne mourrait que par moi. Je me nomme Francesco Nori !
Pour
ne pas le gêner, Rocco s’écarta et se trouva en face de deux autres
adversaires.
– Faites,
jeune homme, mais ne le manquez pas et ne glissez pas dans le sang ! Il y
en a partout... et, pardieu ! ajouta-t-il en embrochant son premier
ennemi, nous allons veiller à ce qu’il y en ait davantage.
Malgré
l’aide reçue, le combat demeurait très inégal. Le Magnifique faiblissait et sa
maigre poitrine se soulevait avec un bruit de soufflet de forge. On l’avait
repoussé hors du chœur et il risquait d’être pris à revers.
– Dans
la sacristie, Monseigneur ! clama Démétrios qui, laissant Fiora à l’abri d’un
pilier, escrimait lui aussi avec sa dague. Enfermez-vous dans la sacristie en
attendant les secours !
Lorenzo
bondit en arrière puis, ralliant en triangle serré les quelques hommes qui se
battaient pour lui, il commença à battre en retraite, abattant deux ennemis sur
son passage.
– Bravo,
apprécia Rocco en connaisseur.
Il
venait pour sa part d’en coucher un sur les dalles noires. Le cercle des
assaillants eut alors un instant de flottement et le groupe de Médicis,
profitant de cette faiblesse momentanée, s’échappa, gagna en courant la
nouvelle sacristie dont la lourde porte en bronze, œuvre récente et admirable
de Luca della Robbia, se referma sur eux. Leurs poursuivants vinrent s’y briser
les poings.
– Viens,
souffla Démétrios. Il faut songer à nous mettre à l’abri nous aussi.
Il n’y
avait rien d’autre à faire. Rocco, emporté par la bataille, avait suivi Lorenzo
dans la sacristie que les conjurés assiégeaient. Gagner la sortie était
impossible car on se battait sur toute la longueur de la nef. S’en remettant à
Démétrios, Fiora disparut à sa suite derrière l’autel sur lequel, à demi
couché, le jeune Riario, plus mort que vif, étreignait en sanglotant le grand
Christ d’argent massif. Personne ne faisait attention à lui.
Arrivés
là et abrités sous la nappe brodée, les deux compagnons examinèrent la
situation. Le plus gros de l’agitation avait la sacristie pour centre et la nef
commençait à se vider, certains des combattants choisissant de s’enfuir. Le
flot se retirait, abandonnant ses épaves : corps sanglants, épars au
milieu des armes inutiles, des voiles de femmes déchirés et piétinés, des
fleurs écrasées, des bijoux brisés que des mendiants, rampant comme autant de
larves, se hâtaient de récolter. Par les portes monumentales, on apercevait la
place ensoleillée d’où venait un effroyable vacarme, preuve que l’on s’y
étrillait ferme. On aurait pu croire que toute la ville était là.
– Comment
se fait-il que les Médicis soient venus sans gardes ? chuchota Fiora. Où
sont Savaglio et ses hommes ? Où est le gonfalonier de justice ? C’est
toujours
Weitere Kostenlose Bücher