Fiora et le Pape
Dieu
qui m’entend, je jure que je ne pourrais pas le supporter. Non, je ne pourrais
pas !
Cette
fois, elle éclata en sanglots et enfouit son visage dans ses deux mains qui
tremblaient. Navrée de ce chagrin dont elle était la cause, Fiora se laissa
glisser à genoux près d’elle comme elle le faisait quand elle était enfant et
qu’elle avait quelque chose à se faire pardonner, puis l’entoura de ses bras.
– Calmez-vous,
mon cœur, fit-elle doucement, je vous jure sur tout ce que j’ai de plus sacré
que l’idée de vengeance ne m’a jamais effleurée et qu’il ne saurait plus en
être question. Je sais ce que vous avez souffert et, bien souvent, j’en ai eu
du remords. D’ailleurs, je n’ai pas été au bout de mon dernier projet. Pas plus
que Démétrios ! Les meules du Seigneur broient lentement mais sûrement, et
les grains de sable que nous sommes faisaient preuve d’une trop grande
présomption ! Plus de vengeance, ma Léonarde, plus jamais !
– Vraiment ?
– N’avez-vous
plus confiance en moi ? Si, tout à l’heure, je vous ai demandé pardon de
ce que je vais faire, c’est uniquement parce que je sais que vous êtes heureuse
ici, que vous êtes attachée à cette maison, comme je le suis moi-même d’ailleurs.
Cela va être dur de s’en séparer, mais il faut me comprendre : même si je
ne garde pas rancune au roi d’une condamnation dont il n’a probablement même pas
été informé, ce sire de Craon a jugé en son nom. Rester ici serait approuver
tacitement ce qui a été fait. Mon fils me le reprocherait plus tard.
Fiora
s’était relevée et marchait lentement le long de la cheminée, les mains au fond
de ses larges manches. Léonarde la suivait des yeux avec une sorte d’accablement.
Puis son regard glissa sur le décor qui les environnait et dont, à son cœur qui
se serrait, elle comprit qu’il lui était devenu cher et qu’elle avait espéré y
achever ses jours. Enfin, elle parla :
– Pensez-vous
donc élever cet enfant dans l’amour exclusif de la Bourgogne et la haine de la
France ?
– Non.
Bien sûr que non, mais...
– Quand
il aura vingt ans, il y aura longtemps sans doute que la Bourgogne sera devenue
province française. Le roi Louis ne sera peut-être plus de ce monde, mais son
fils régnera et le vôtre sera l’un de ses sujets. Voulez-vous dès à présent le
ranger dans un camp rebelle qui, en outre, n’existe presque plus, puisqu’il s’agit,
pour les anciens sujets du duc Charles, de choisir entre France et Allemagne ?
Il faut songer à son avenir. Où le voyez-vous, cet avenir, si vous offensez le
roi en lui rendant le présent qu’il vous a fait ?
– Le
roi est un homme sage. Il me comprendra certainement. Il est plus normal que j’emmène
mon fils à Selongey.
– Etes-vous
seulement certaine qu’il existe encore un château de Selongey ?
Fiora
s’était arrêtée et fixait à présent Léonarde d’un œil stupéfait :
– Pourquoi
n’existerait-il plus ?
– Parce
que dans tous les pays du monde, lorsqu’un homme a été condamné pour rébellion,
ses biens sont récupérés par la Couronne, ses défenses abattues. Il se peut que
le château ait été rasé. Si notre petit Philippe n’avait plus rien d’autre que
ce manoir que vous voulez rendre ?
– Oubliez-vous
qu’Agnolo Nardi fait fructifier la part de fortune qui m’a été laissée ? Il
aura au moins cela !
– Peu
de chose pour le grand seigneur qu’il a le droit d’être. Pourquoi, au lieu d’aller
jeter, demain, vos titres de propriété à la tête du roi Louis, n’allez-vous pas
plutôt lui porter votre plainte ? Il vous a montré que vous pouviez avoir
confiance en lui et qu’il avait pour vous une véritable amitié. En outre, comme
vous le disiez tout à l’heure, c’est un homme sage... mais n’oubliez pas non
plus ce que nous a dit messire de Commynes lors de sa dernière visite : il
a changé et il semble prendre plaisir à présent à cette guerre qu’il détestait.
Il a même exilé son plus sage conseiller...
– A
Poitiers ? Ce n’est pas un grand exil.
– Sans
doute, mais le sire d’Argenton pensait en revenir vivement, et nous ne l’avons
toujours pas revu. Craignez d’offenser le roi, Fiora ! La profondeur de
son esprit cache peut-être des abîmes insondables. Où pensiez-vous aller en
partant d’ici alors que l’hiver sera bientôt là ? Tout droit à Selongey ?
– Non,
pas tout de
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