Fiora et le Pape
suite. A Paris d’abord, chez nos amis Nardi qui seraient, j’en suis
sûre, très heureux de nous accueillir et qui...
– ...
et qui le seraient peut-être moins si nous arrivions chez eux en indésirables,
peut-être en proscrites ? Où irions-nous alors avec un bébé de quelques
semaines dans les bras ? Cette maison est à vous, Fiora, et vous n’en avez
plus d’autre ! Pensez-y quand, demain, vous aborderez le roi !
– Vous
avez une terrible logique, Léonarde, et il se peut que vous ayez raison, mais
il me semble que, là où il est, Philippe me chasse d’ici, me crie que ma place
et celle de son fils ne sont pas auprès d’un roi qu’il haïssait.
– Là
où il est ? Que pouvez-vous savoir des volontés de ceux qui ont quitté
cette terre ? Il me semble que l’on doit songer d’abord à obtenir grâce et
pardon pour toutes les fautes que l’on a commises. Faites à votre guise, mon
agneau, c’est de votre vie et de celle de l’enfant qu’il est question, et pour
ma part je suis toujours prête à vous suivre là où vous le jugerez bon, l’important
étant d’être à vos côtés. Mais il y a aussi cette bonne Péronnelle et son
époux. Ils sont déjà attachés au petit Philippe. Vous allez leur briser le cœur.
Fiora
ne dormit guère cette nuit-là. Elle tournait et retournait dans sa tête ce que
lui avait dit Léonarde, sans parvenir à une solution valable. Bien sûr,
Léonarde avait raison sur bien des points, mais la même idée fixe revenait :
rester ici serait trahir le souvenir de Philippe, et Fiora se reprochait déjà trop
de choses pour en ajouter de nouvelles. Néanmoins, elle se promit d’user de
diplomatie pour éviter de changer un Louis XI amical en un ennemi courroucé.
Elle
avait décidé de se rendre au Plessis dès le matin, aux environs de l’heure où
le roi sortait de la messe. Mais, au moment où elle allait se mettre en route,
elle entendit les abois de chiens et les trompes qui annonçaient un départ pour
la chasse. Ainsi, à peine rentré chez lui, le souverain se hâtait-il vers son
délassement favori, qui était chez lui une véritable passion. Mieux valait ne
pas risquer de le retarder, car c’est alors qu’il serait de mauvaise humeur.
C’est
donc vers la fin de l’après-midi que, dans une robe de velours noir, une haute
coiffure en toile argentée soutenant ses mousselines funèbres, elle monta sur
sa mule. Suivie de Florent dans ses meilleurs habits, elle se dirigea vers le
château et gagna le « Pavé », le chemin couvert de grosses pierres
qui joignait la ville de Tours à la demeure de son souverain. Si la chasse
avait été bonne, la jeune femme avait toutes chances d’être reçue avec
affabilité. Quoi qu’il en soit, il était normal qu’elle vînt saluer le roi pour
le féliciter de son bon retour chez lui. Et Fiora partit sans tourner la tête
pour ne pas voir Léonarde et Péronnelle, celle-ci tenant le bébé dans ses bras,
qui la regardaient s’en aller. Les yeux rougis de Péronnelle, mise sans doute
au courant par Léonarde, lui causaient une impression pénible et la gênaient au
point que, en arrivant devant la première enceinte du Plessis-lès-Tours, elle
faillit tourner bride et rentrer chez elle en se demandant de quel droit elle
allait causer tant de peine à de si braves gens. Mais cela faisait partie de sa
nature d’aller au bout de ses décisions et, après un court temps d’arrêt, elle
s’avança vers le portail flanqué de deux tours crénelées que gardaient des
archers de la Garde écossaise.
L’amitié
déjà ancienne qui liait Fiora au sergent Douglas Mortimer était connue de tous
et, loin de l’empêcher d’entrer, les soldats saluèrent la jeune femme en y
ajoutant ce grand sourire que tout homme normalement constitué réserve à une
jolie créature. Dans la basse-cour régnait l’activité des réemménagements. D’un
côté, il y avait les logis de la Garde où les varlets mettaient de l’ordre
tandis que des filles de service emportaient le linge vers le lavoir. Vers l’ouest,
près de la toute petite chapelle consacrée à Notre-Dame de Cléry, que le roi
appelait sa « bonne dame » ou sa « petite amie » car elle
avait sa préférence, les soldats chargés de garder la grande tour carrée qui se
dressait à l’écart des murailles et que l’on appelait la « Justice du Roi »
se chauffaient au soleil de cette fin de journée ou jouaient aux dés. De
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