Fiora et le Pape
d’exécution.
Les
seuls instants de paix que le tourbillon de ses pensées laissait à Fiora, elle
les trouvait auprès de son fils. Le bébé était superbe. Le lait de Marcelline
semblait lui convenir à merveille et il promettait d’être grand, fort et
peut-être heureux de vivre : s’il gazouillait beaucoup il pleurait peu, et
même pas du tout car, lorsqu’il piquait une colère, ses yeux à la nuance encore
incertaine demeuraient secs. Devant lui, Fiora n’était plus qu’adoration et,
quand elle le tenait dans ses bras et caressait, du bout d’un doigt, le léger
duvet brun de sa petite tête, une telle vague d’amour l’enveloppait qu’elle
oubliait un instant de souffrir. Elle s’attardait alors un moment près du
berceau, barque fragile à laquelle, comme si elle était en train de se noyer,
elle s’accrochait pour ne pas devenir folle. Dès qu’elle s’en écartait, les
pensées amères affluaient.
On
approchait des vendanges quand, tout à coup, le pays s’anima. Le Plessis, qui
semblait un peu assoupi en l’absence de son maître, se réveilla. On faisait le
ménage à fond et l’on réapprovisionnait les cuisines, tandis que commençaient à
arriver des porteurs d’ordres et quelques chariots de meubles : en un mot,
Louis XI revenait.
On sut
qu’il n’était plus loin quand arrivèrent les objets de sa chapelle qui ne le
quittaient jamais. En fait, il se trouvait à Amboise pour y visiter la reine
Charlotte, son épouse. Celle-ci préférait de beaucoup au Plessis son beau
château dressé sur le coteau devant lequel coulait la Loire. Mais le roi n’y
restait jamais bien longtemps et, deux jours après l’arrivée de la chapelle, on
entendit sonner les trompettes d’argent qui annonçaient son approche.
Ce
soir-là, pour la première fois depuis la naissance de son fils, Fiora sortit de
son mutisme et, au lieu de remonter dans sa chambre après le souper comme elle
en avait pris l’habitude, resta dans la salle et demanda à Léonarde d’y rester
avec elle. La soirée étant un peu fraîche, Florent avait allumé dans la
cheminée une brassée de branches de pin dont la résine crépitait joyeusement et
embaumait la grande pièce silencieuse. La jeune femme rêva un instant en
regardant les flammes, puis ramena sur Léonarde son regard las.
– Je
vous demande, dès à présent, pardon de ce que je vais faire, ma chère Léonarde.
Croyez qu’avant de m’y décider j’ai longuement réfléchi. L’absence du roi m’en
a laissé le temps mais, puisque le voilà revenu, je ne peux différer davantage.
– J’ignore
de quoi vous souhaitez me parler, Fiora, mais sachez que la seule chose qui
compte pour moi, à cette heure, c’est justement que vous me parliez enfin. Ce
long silence me désespérait. Il me semblait... que je ne comptais plus pour
vous puisque je n’étais plus la confidente de vos peines et...
La
voix buta sur un sanglot que la vieille demoiselle ravala courageusement, mais
une larme brilla tout de même dans ses yeux bleus qui semblaient conserver une
éternelle jeunesse. La main de la jeune femme vint se poser sur celle de sa
fidèle compagne.
– Qu’aurais-je
pu vous dire que vous ne sachiez déjà ? Je vous sais gré, au contraire, de
m’avoir laissée à mon silence. Je ne pouvais entendre d’autres voix que celles
de ma douleur et de mes remords.
Le mot
fit bondir Léonarde et sa tristesse s’en trouva balayée :
– Je
savais bien qu’il s’agissait de cela ! Des remords ? Pourquoi ? Parce
que vous n’avez pas permis à messire Philippe de vous enfermer à Selongey où il
ne serait resté que peu de temps, pressé qu’il était de retourner au combat ?
Voulez-vous me dire ce que cela aurait changé à l’abominable suite des
événements et si vous seriez moins malheureuse dans son château que vous l’êtes
ici ?
– Sans
doute rien, mais je serais à Selongey, comme il le voulait, et c’est toute la
différence. Léonarde, l’homme qui a fait tuer mon époux est gouverneur de Dijon
« pour le roi »... et moi je ne me reconnais pas le droit d’élever
son fils dans une maison donnée par le roi.
– Doux
Jésus ! gémit la vieille demoiselle qui changea de couleur, ne me dites
pas que vous allez vous lancer, à nouveau, à la poursuite de je ne sais quelle
vengeance insensée ? Ne me dites pas que tout va recommencer comme durant
ces deux années affreuses que nous avons vécues, vous et moi ? Devant
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