Fiora et le Téméraire
elle
adorait toutes les plantes. Il en poussait le long de tous ses murs...
– On
dit que le maître en est absent ?
– Qu’il
soit là ou non ne change rien. Si mes bavardages ne vous fatiguent pas, je vous
en parlerai à ma prochaine visite. Mais c’est un assez vilain oiseau...
Tout
en parlant, dame Symonne s’était approchée de la fenêtre pour jeter un regard
machinal à la maison en question et, soudain, son œil s’anima :
-Vous
allez pouvoir en juger par vous-même, ma chère, car le voilà qui rentre.
Fiora
jaillit de ses coussins avec une vivacité qui eût sans doute surpris sa
visiteuse si le regard de celle-ci n’avait été retenu ailleurs. Un homme, en
effet, descendait péniblement d’une belle mule devant la porte de la maison d’où
venait de surgir l’un des valets.
S’efforçant
de rester à l’abri du meneau qui partageait la fenêtre, Fiora dévora des yeux
le nouveau venu avec une haine dont la violence la surprit. C’était un
vieillard maigre qui semblait courbé par le poids du riche manteau ourlé de
fourrure qu’il portait en dépit de la chaleur. Entre les cheveux gris et ternes
qui pendaient de l’épais chaperon de velours, la jeune femme aperçut un long
visage couleur de vieil ivoire, un nez pointu, une barbe clairsemée mais ne put
voir les yeux sous le bourrelet proéminent des sourcils broussailleux...
– Dieu
qu’il est laid ! fit-elle, sincère.
– L’âme
n’est pas plus belle, croyez-moi !
– Et...
il vit seul dans cette maison ?
– Avec
deux valets, deux frères qui ressemblent davantage à des reîtres qu’à d’honnêtes
serviteurs.
– Aucune
femme ? Pourtant, on m’a soutenu avoir, un soir, entendu des plaintes et
des gémissements... Dame Symonne se mit à rire :
– Ça,
c’est du Chrétiennotte tout pur ! Elle est persuadée que la maison du
Hamel est hantée et raconte son histoire à qui veut bien l’entendre. Mais, vous
savez, elle est comme beaucoup de filles de la campagne et voit du merveilleux
partout...
– Elle
se dit, en effet, persuadée qu’un fantôme est attaché à cette triste maison...
Celui de...
– La
malheureuse qui a jadis été mariée à ce triste personnage ? dit dame
Symonne qui ne riait plus. Après tout, c’est peut-être vrai, car elle aurait toutes
les raisons pour cela... Mais assez parlé ! Le marguillier de Notre Dame
doit déjà m’attendre pour parler de la procession de dimanche. Je vous souhaite
le bonsoir !
Elle s’éclipsa
dans un grand bruit de soie froissée, laissant après elle une agréable odeur d’iris.
La rue du Lacet était vide à présent. Du Hamel, sa mule et son valet avaient
disparu. Fiora retourna s’asseoir dans ses coussins et resta là un long moment
à réfléchir, le menton dans sa main. L’heure d’agir n’allait plus tarder...
CHAPITRE III MARGUERITE
Minuit
venait de sonner et le cœur de Fiora battait lourdement dans sa poitrine, lui
donnant parfois l’impression d’étouffer. La chaleur avait sévi toute la journée
sans que le crépuscule annonçât de fraîcheur. La nuit était pesante, orageuse,
opaque, mais le roulement lointain du tonnerre laissait prévoir de la pluie
avant l’aube. Fiora espérait néanmoins que la tempête ne viendrait pas trop tôt :
ces ténèbres vaguement menaçantes lui convenaient tout à fait pour accomplir ce
qu’elle avait décidé : l’heure était venue pour Regnault du Hamel, d’expier
ses forfaits...
Debout
devant le miroir que dame Symonne avait fait installer dans sa chambre, Fiora
se regardait et ne se reconnaissait pas : ce pâle visage blanchi à l’aide
d’une pâte, ces cheveux blonds qu’un barbier avait procurés à Démétrios ! ...
Seul lui était familier le petit hennin de dentelle taché de sang que Léonarde
avait réussi à sauver, avec quelques objets précieux, du désastre du palais Beltrami
et qu’elle avait épingle, de ses mains tremblantes, sur la tête de « son
agneau ». La robe de velours gris moucheté d’or était lourde et pénible à
porter par cette température, pourtant Fiora ne transpirait même pas. Cette
manifestation humaine lui était refusée comme si l’âme de Marie de Brévailles
était entrée en elle pour assumer sa vengeance et l’eût désincarnée. Comme si
elle n’était plus qu’une apparence...
Derrière
elle, Fiora entendit Léonarde gémir. La vieille fille était terrifiée par ce qu’elle
voyait et plus
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