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Fiora et le Téméraire

Fiora et le Téméraire

Titel: Fiora et le Téméraire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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est vrai que je l’aime infiniment, mais j’avoue qu’à
présent il me fait un peu peur à cause de cet orgueil sans mesure auquel se
joint une étrange propension à la mélancolie. Cela m’a frappée lorsque je l’ai
vu l’an passé et tient, je pense, à son sang portugais...
    – Portugais ?
    – Mais
oui. Sa mère nous est venue de Portugal. Elle était la sœur de ce prince Henri
le Navigateur qui prétendait conquérir les mers et elle lui a donné ses rêves
de gloire et d’infini. Monseigneur Charles n’est heureux que dans l’action et,
cependant, depuis toujours il craint la mort et la brièveté de la vie lui est
insupportable. Pourtant il ne recule jamais devant le danger et, même, il aime
à le rechercher. Jeune homme, lorsqu’il vivait à Gorcum, il aimait s’embarquer
seul sur une barque à voile et affronter ainsi la tempête. D’ailleurs, la
tempête est comme la guerre son élément naturel. Elle trouve en lui des
résonances car il a de terribles accès de fureur. Je redoute que ce vieux rêve
qu’il poursuit de reconstituer l’antique royaume bourguignon ne le mène plus
loin qu’il ne faudrait. Il cherche à unir par la conquête les pays de par-deçà
aux pays de par-delà [iii] où nous sommes, et mieux vaudrait sans doute qu’il songe d’abord à protéger ce
qu’il possède. Ce n’est pas un mince ennemi que le roi de France et il
surveille notre duc comme l’araignée guette sa proie du fond de sa toile...
    – Comment
est-il physiquement ?
    – Que
voilà une question bien féminine ! fit dame Symonne en riant. Sachez donc,
jolie curieuse, que c’est un bel homme, moins grand que n’était son père, mais
de belle stature et bien proportionné... et très vigoureux, ce qui le rend
endurant à la fatigue et aux privations. Il a le visage large et coloré au
menton puissant, aux yeux sombres et dominateurs. Ses cheveux sont noirs et
drus. Il sourit rarement, beaucoup moins qu’autrefois et c’est dommage car cela
lui conférait un grand charme...
    – On
dit que son père aimait fort les dames. Lui ressemble-t-il à ce sujet ?
    – En
aucune façon car il tient beaucoup plus de sa mère et se plaît d’ailleurs à
dire : « Nous autres, Portugais... », ce qui faisait enrager le
duc Philippe en son temps. Celui-là a eu des maîtresses sans nombre et sa femme
en a trop souffert pour que le fils ne prît pas la débauche en horreur. Charles
a aimé, profondément, Isabelle de Bourbon, sa défunte épouse qui lui a donné la
princesse Marie, et je crois qu’il est attaché à Marguerite d’York, la duchesse
actuelle, mais son cœur s’est arrêté là et il ne se laisse jamais entraîner par
ses sens. Il se méfie des femmes, leur préfère de beaucoup ses compagnons d’armes
– en tout bien tout honneur car il est chaste. Comme il préfère la guerre aux
fêtes, lui le prince le plus fastueux d’Europe, il déteste les grands banquets
et les bals que son père aimait tant...
    – N’aime-t-il
donc pas se distraire ?
    – Si,
mais à sa manière. Il aime lire et, surtout, il adore la musique et passe des
heures à écouter les chantres de sa chapelle que dirige maître Antoine Busnois.
Ils le suivent partout et il lui arrive de chanter avec eux... C’est un étrange
prince, n’est-ce pas, que je vous décris là ?
    – C’est,
je crois, le fait des princes de n’être pas comme tout le monde. Le duc est-il
aimé de ses peuples ?
    – Je
n’en suis pas certaine. On le craint et, d’ailleurs, il a dit un jour aux
Flamands : « Je préfère votre haine à votre mépris. » Mais il
dédaigne ce qui est bourgeois ou populaire. En outre, il peut être d’une
impitoyable cruauté. Les gens de Dinant et les Liégeois dont il a rasé les
villes en savent quelque chose, ceux tout au moins qui sont encore vivants pour
s’en souvenir...
    Sur
leur tourelle, Jacquemart et sa femme sonnèrent quatre coups et dame Symonne se
leva aussitôt.
    – Vous
ne partez pas déjà ? s’exclama Fiora.
    – Si,
il est tard et j’ai à faire... Alors, vraiment, vous tenez à rester ici, à
contempler les eaux du Suzon et cette maison aux volets clos ?
    – Elle
est un peu mélancolique, sans doute...
    – Dites
qu’elle est sinistre. Et autrefois elle paraissait si charmante et si gaie !
Le jardin en été semblait un bouquet de fleurs. La maîtresse en était une
lingère de la duchesse Marguerite de Bavière, grand-mère de notre duc, et

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