Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
d’une bourse bien remplie pour la financer, si vous voyez ce que je veux dire.
Je lui assurai que c’était le cas, avant de lui demander :
— Et ils ont tous bien compris… s’il se passait quoi que ce soit de fâcheux…
Je marquai une pause par délicatesse, car je savais qu’il était inutile d’en dire davantage.
De fait, Petrocchio devint blanc comme un linge. Il fit de grands signes à un assistant, qui arriva au pas de course et lui mit une fiasque de vin frais dans sa main restée en l’air. Lorsque le Maestro se fut rafraîchi, il déclara :
— Absolument, Donna Francesca, ils comprennent. Ce sont tous, comme je l’ai dit, des professionnels. Vous n’avez pas à vous inquiéter, pas le moins du monde. Je vous en donne ma parole.
Sachant qu’il était resté l’imprésario le plus réputé et le plus recherché de Rome pendant près de dix ans sans qu’un seul incident vienne entacher son nom, j’étais rassurée sur le fait que le spectacle, tout au moins, ne poserait pas problème.
Il ne restait donc plus que la nourriture, le vin et les invités eux-mêmes. Les deux premiers m’occupèrent le reste de la journée, et m’attirèrent tant les foudres des chefs cuisiniers du Cardinal que j’allais devoir passer le restant de mes jours à essayer de me faire pardonner. Sur une note plus positive, j’appris à cette occasion un nombre impressionnant de jurons, qui me sont encore utiles parfois.
Le problème des invités était quant à lui insoluble. Venu au rapport, Renaldo m’expliqua que Borgia se montrait évasif quant à l’identité des convives, évoquant simplement des « princes de l’Église divers et variés, ainsi que d’autres personnages ». Je pris cela comme signifiant qu’il ne savait toujours pas qui allait accepter ou non son invitation, et ne voulait pas l’admettre. C’était bien beau, mais lui et moi allions devoir avoir une sérieuse discussion sur la nécessité de me tenir correctement informée.
L’heure avançant, une certaine nervosité m’envahit, dont je ne parvins pas à me débarrasser mais que j’attribuai aux circonstances. Ce dîner était le premier événement d’importance placé dont on m’avait chargée depuis ma prise de fonctions. Naturellement, je me souciais de voir la soirée bien se passer. J’avais tant à faire que j’eus très peu de temps pour retourner prendre un bain et m’habiller ; à peine étais-je de retour dans la cour que le Cardinal descendait pour accueillir ses invités. Il avait été très clair à ce sujet, ma présence était requise. Je compris pourquoi en le voyant arriver.
Ce dîner était le premier événement d’importance placé ?
Lucrèce était avec son père. Il vous faut comprendre, à cette époque-là le Cardinal était la discrétion même s’agissant de ses enfants. Il ne s’était jamais affiché avec eux, au contraire de certains princes de l’Église qui étaient même connus pour cela – dont feu Innocent. Lucrèce et ses trois frères (dont César était l’aîné) vivaient tous séparément, dans leur propre maison. Si les fils avaient reçu un traitement de faveur, des titres et certains avantages auxquels ils n’auraient pas eu accès sans cela, la plupart des Romains n’avaient d’autre choix que de spéculer quant à leur lien de parenté véritable avec Borgia, qui n’avait aucun mal à prétendre être leur oncle en prenant un air imperturbable. Tout cela était considéré comme la preuve du bon sens d’Il Cardinale mais également, chose extraordinaire, comme un signe de retenue.
Et pourtant, le voilà qui arrivait avec à son bras une Lucrèce ravissante et tout excitée d’être là, cette femme-enfant qui attendait, tremblante, que son père décide de son avenir pour elle.
— Francesca ! s’exclama-t-elle, avant de se précipiter pour m’étreindre. Tu es splendide ! Ces couleurs te vont divinement.
J’avais mis une robe du dessous mauve et une robe du dessus couleur topaze, une tenue que mon père m’avait offerte à Pâques. Les derniers cadeaux que j’avais reçus de lui. Je les avais revêtues pour me donner courage, mais également car je n’avais rien de plus beau pour l’occasion.
Lucrèce portait quant à elle du bleu roi brodé au fil d’argent, qui venait en contrepoint parfait de ses longs cheveux dorés. Elle était si jolie qu’on aurait pu la prendre pour une statue sculptée dans l’ivoire, les métaux précieux et
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