Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
votre…
Il s’interrompit, réfléchissant à n’en pas douter à la façon dont il aimerait s’adresser à moi. Mais son instinct de survie dut l’emporter au dernier moment car il se contenta de dire :
— … compagne.
Si César avait de nombreux talents (auxquels j’ai déjà fait allusion ici), il manquait en revanche singulièrement de tact. Ses notions en diplomatie, par exemple, se résumaient à la conviction que le chemin le plus rapide pour obtenir la paix (ou ce qu’il voulait) était de balayer ses ennemis de la surface de la terre.
Mais il se trouvait dans la basilique Saint-Pierre, le lieu le plus sacré de toute la chrétienté après Jérusalem. Et s’il avait le malheur de véritablement causer des problèmes, son père se ferait un plaisir de le lui rappeler régulièrement.
Par conséquent, il serra les dents et s’exclama :
— Ne te fous pas de ma gueule, le prêtre. Contente-toi de nous montrer comment on entre dans ce grenier.
Le vieil homme devint blanc comme un linge, avant de s’empourprer. En dépit de son apparente suffocation, il parvint à nous montrer la direction du doigt.
Peu après, je pus constater par moi-même que le prêtre avait dit vrai concernant l’état des combles de Saint-Pierre. Sombres, humides, sentant le renfermé et le moisi au point que je dus lutter pour respirer normalement, ils paraissaient contenir les exhalaisons conjuguées d’un millier d’années de sueur, de dur labeur, de prières, de souffrances. À nos pieds s’étalait un véritable océan de poussière ; il y en avait tellement que cela m’arrivait aux chevilles. Face à nous se dressaient de véritables murs de toiles d’araignée, tant elles étaient épaisses. Et la saleté – pour résumer, les lieux avaient servi de sépulture aux reliques de générations d’individus qui, à première vue, avaient surtout trouvé ce grenier commode pour s’adonner à toutes sortes de divertissements illicites. Dieu seul sait ce que l’on aurait respiré si les trous béants dans le toit n’avaient laissé passer un peu d’air frais.
Nous étions montés par un escalier étroit, dissimulé derrière un pilier de l’angle sud-est de la basilique. Le prêtre nous avait accompagnés pour nous le montrer, mais il n’alla pas plus loin. Il ne nous souhaita pas non plus bonne chance, mais j’imagine que l’on peut lui pardonner cet écart de conduite. César passa en premier, suivi de près par Rocco, et j’étais sur leurs talons avec les hommes d’armes.
Alors que nous nous remettions de ce premier contact saisissant avec les lieux, Rocco demanda :
— Pourquoi Morozzi viendrait-il ici ? Il doit y avoir de bien meilleures cachettes.
J’étais toujours réticente à l’idée de lui avouer nos craintes. Ainsi, je me bornai à lui dire :
— Nous avons déjà regardé en bas. Par ailleurs, Morozzi aime être là où on ne l’attend pas.
Rocco acquiesça mais ne semblait guère convaincu. En revanche, il paraissait plus désespéré à chaque minute qui passait. Il avait les yeux rouges, la barbe qui commençait à repousser, et s’était méchamment mordu les lèvres, comme s’il avait voulu s’empêcher de hurler.
Pour lui donner quelque chose de concret à faire, tout autant que pour accélérer les recherches, je lançai :
— On irait plus vite en se séparant.
— Très bien, répliqua César. Le verrier, deux de mes hommes vont t’accompagner. Francesca, tu viens avec moi.
Avec précaution, nous avançâmes le long de l’épine dorsale de la basilique. Le grenier n’était pas un vaste espace ouvert comme on aurait d’emblée pu le croire, mais bien plutôt un immense labyrinthe de niches et de recoins alternant avec de longues allées, ce qui était peut-être inévitable dans un bâtiment si ancien. J’imagine que dans un lointain passé l’endroit avait servi à entreposer toutes sortes de choses. Mais à mesure que le temps avait fait son œuvre, le plancher était devenu trop instable pour supporter quoi que ce soit de lourd.
Voire, en toute probabilité, le poids d’une seule personne.
— Attention, lança César en m’aidant à reprendre mon équilibre. Sous mes pieds, le bois semblait ployer de façon plutôt alarmante.
— Je ne l’aurais jamais cru en si piteux état, fis-je.
S’il m’était réellement arrivé de voir des morceaux de pierre et de brique tomber de la basilique, et d’entendre un certain nombre d’histoires de
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