Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
Nando et la meilleure façon de l’arracher à la poigne du prêtre fou. Même sa capture était secondaire.
Bien que cela me soit pénible, il faut reconnaître à Morozzi qu’il n’avait pas un temps d’avance sur moi comme je l’avais cru, mais bien davantage. Avec le temps, je compris qu’il avait toujours une multitude de plans sous la main, à mettre à exécution si nécessaire. Si seulement il s’était servi de ses facultés à des fins plus utiles…
Mais ce genre de conjectures ne rimait à rien. Il avait perdu la raison, et à ce titre, ne se souciait que de sa propre survie. Confronté à la fois à César et Rocco, il tournait et virait comme un animal aux abois, son beau visage déformé en un grondement haineux.
— Vous allez périr par le bûcher ! Dévorés par les feux de l’enfer !
Peut-être bien, mais avant cela Morozzi devrait affronter l’épée de César. Ainsi que la colère de Rocco.
Ce dernier faillit bien l’atteindre en premier. Il se trouvait à quelques pas lorsque le prêtre fou lança son fardeau vers lui et décampa. Je ne regardai pas la direction qu’il prit, car mon attention était tout entière tournée vers Nando. Dans sa chute, le plancher s’effondra sous lui.
Le temps sembla alors s’arrêter. Je vis les bouts de bois délabré se dresser brusquement à angle droit, se détacher au fur et à mesure, aller s’effondrer contre ce qu’il y avait en dessous et donner cette impression soudaine d’un espace béant ouvert sur le rez-de-chaussée.
Rocco détourna les yeux de Morozzi pour regarder son fils, mais il se trouvait trop loin pour arrêter la chute de Nando. Je n’eus d’autre choix que de m’élancer de toutes mes forces vers le plancher et plonger mon bras dans l’ouverture, saisissant la chemise du petit garçon au vol.
Ensemble, nous glissâmes vers l’abîme.
— Francesca !
Rocco cria mon nom, mais je l’entendis à peine. Plus rien n’existait autour de moi que ma respiration et les battements effrénés de mon cœur, cela et la poigne par laquelle je tenais farouchement l’enfant au-dessus du vide. Une cinquantaine de mètres devait nous séparer du sol de la basilique.
J’imagine que tout le monde nous vit, à cet instant-là. J’imagine que les yeux se tournèrent vers nous, et qu’un murmure parcourut l’assemblée.
J’imagine, car à la vérité je n’en sais rien. Personne n’en a jamais parlé. Peut-être que finalement on ne nous a pas vus du tout. Peut-être qu’au-dessous de nous se trouvait une autre couche de plâtre dissimulant notre présence. Peut-être y a-t-il eu une conspiration du silence, et que personne ne veut reconnaître ce qui faillit bien arriver ce jour-là à Saint-Pierre.
Toujours est-il que nous glissions, Nando et moi, vers le trou béant qui s’était ouvert dans le plancher. Je m’accrochai à lui d’une main et tentai désespérément de l’autre d’empoigner quelque chose, n’importe quoi qui arrêterait notre chute.
C’est ainsi que je trouvai le bras de Rocco.
— Francesca, répéta-t-il, ne le lâche pas !
Je me souviens d’avoir été étonnée puis, de façon plutôt absurde étant donné les circonstances, offusquée à l’idée qu’il me croie capable d’une chose pareille. Avait-il si peu confiance en moi ? Moi, qui l’avais attiré dans ce jeu de dupes autour de la mort d’Innocent et, ce faisant, avais mis en péril la vie de son fils ? Finalement, comment pouvait-il s’attendre à autre chose qu’au pire, venant de moi ?
— Sauve-le ! criai-je, de très loin me sembla-t-il. Ne le laisse pas tomber !
Mais à la vérité, nous étions tous deux en passe de subir le même sort. Je sentais mes doigts commencer à faiblir (d’un côté comme de l’autre), et je sus que ce n’était qu’une question de secondes avant que tout soit perdu.
— Sauve-le ! criai-je de nouveau en me tortillant pour tenter de rapprocher au mieux Nando de son père.
Un bref instant, mes yeux croisèrent ceux de Rocco. Je le vis hésiter, tenter de réfléchir au meilleur moyen de nous récupérer tous deux, mais c’était hors de question. De toutes mes forces, du moins ce qu’il en restait, je tirai l’enfant vers le haut et son père.
Rocco me quitta des yeux et tendit la main, attrapant son fils de sa poigne forte. J’entendis le garçon gémir, j’entendis le père prononcer son nom dans un souffle, j’entendis, enfin, mon propre cri étouffé en sentant
Weitere Kostenlose Bücher