Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
présentait au Fils de Dieu. Il semblait surtout attiré par un détail de la fresque, à savoir un prêtre tenant un bol rempli de sang.
— Que se passe-t-il, là ? me demanda-t-il.
J’avais posé la même question à mon père des années plus tôt, et lui fis la même réponse.
— Regarde ces gens, dis-je. (Je dirigeai son attention vers un petit groupe de personnages en train de s’approcher du prêtre avec des animaux.) Ce sont des juifs prêts à offrir leurs bêtes en sacrifice. La scène vient nous rappeler que Dieu a permis à Abraham d’épargner son fils, Isaac, en offrant un bélier en sacrifice à sa place. Mais aussi que Dieu a sacrifié Son propre Fils pour racheter nos péchés.
Jamais je ne saurai ce que tout cela inspira à César, cette histoire de pères et de fils, et de sacrifices que l’on choisissait de faire ou pas. Toujours est-il qu’il examina longuement cette fresque avant de tourner son attention vers le reste de la chapelle.
De mon côté, je me mis à caresser l’idée que cette scène avait peut-être quelque signification pour Morozzi, et pourrait même lui servir de cadre pour son propre sacrifice. Je vous l’accorde, c’était une piste bien mince, mais elle me redonna suffisamment courage pour continuer.
L’intérieur de la chapelle était vide à part le corps d’Innocent, les gardes qui le surveillaient, et nous-mêmes. De Morozzi, toujours point de trace.
— Au-dessus de nous se trouve la salle des gardes suisses, expliquai-je à César. Nous devrions y jeter un œil.
Je me souvenais de la façon dont Morozzi était apparu devant Vittoro et moi sur la passerelle, à l’étage de la chapelle.
— Si tu crois que ça en vaut la peine, répliqua-t-il sans enthousiasme.
Je n’aurais su l’en blâmer. Le temps passait à une vitesse effrayante, et nos recherches n’avaient guère avancé, pour ne pas dire pas du tout.
Qu’à cela ne tienne, je m’apprêtai à monter l’escalier fixé dans le mur à l’extrémité nord de la chapelle lorsque la brusque apparition de plusieurs hommes m’arrêta.
Les gardes que César avait envoyés au chapitre dominicain étaient revenus. Et ils amenaient Rocco avec eux.
35
J’ ai connu la peur suffisamment de fois dans ma vie pour la considérer comme une vieille amie, et je ne suis point étrangère au désespoir. Mais ce que je vis si crûment écrit sur le visage de Rocco tandis qu’il traversait la chapelle au pas de course pour nous rejoindre me fit l’effet d’avoir été emportée par une bourrasque de vent menaçant de tous nous projeter dans le gouffre.
— Est-ce vrai ? articula-t-il. Ce que les gardes m’ont dit ? Morozzi aurait enlevé un enfant ?
Il était si agité que César se mit entre nous. Je saisis le bras de mon improbable protecteur et m’efforçai de le retenir.
— Peut-être. Nous n’en sommes pas certains, répondis-je prudemment. Que s’est-il passé ?
Il tenta bien de m’expliquer, mais sa respiration se fit soudain haletante et il ne put parler. Au final, il prononça un seul mot, d’une voix entrecoupée.
— Nando.
Je vous épargnerai les détails pour vous dire seulement que la veille, Rocco avait reçu un mot de sa mère expliquant que son fils était allé pêcher à la rivière d’à côté et n’était pas revenu. Craignant qu’il lui soit arrivé quelque chose (un accident, ainsi qu’il le croyait à ce moment-là), Rocco était parti précipitamment pour La Giustiana, son village natal, situé à quelques heures au nord de Rome. Lorsque les recherches pour retrouver le petit garçon s’étaient avérées vaines, il était revenu en ville dans l’idée de me demander de l’aide mais s’était fait refouler devant le palazzo, comme je le pensais. Il était ensuite allé chercher frère Guillaume. Ils étaient tous deux en train de se demander quoi faire lorsque les hommes de César étaient arrivés.
— Nando a disparu ?
Je ne pus mieux faire, tant la stupéfaction m’avait assommée.
— C’est un bon garçon, fit Rocco. (Ses yeux brillaient de larmes n’attendant que de couler, lorsque la tragédie qui se rapprochait dangereusement viendrait lui être confirmée.) Il ne partirait jamais sans rien dire à personne. Quelque chose lui est arrivé.
À présent qu’il était trop tard, je me souvins que La Giustiana se trouvait sur la même route que la résidence de campagne de la famille Orsini. Il aurait été aisé pour un homme tel que
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