Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
que je le sais ? Je reçois ses ordres et je les exécute, en espérant qu’il soit satisfait. Au-delà, il ne me dit rien.
— Tu te sous-estimes. Ton père ne t’a-t-il pas envoyé à Sienne ? Manifestement, il compte sur toi pour régler les questions délicates.
— Il compte surtout sur moi pour maintenir les gens dans le rang par la peur. J’y arrive très bien. Quant au reste… (Il haussa les épaules.) j’imagine qu’il nous mettra au courant en temps voulu. Mais pour l’instant…
Il se mit à se frotter contre moi et je répondis à son étreinte avec joie, car je me disais confusément que si Morozzi l’emportait, je ne prendrais probablement plus jamais un tel plaisir. Ou quoi que ce soit d’autre, d’ailleurs.
Lorsque je me réveillai, le soleil entrait à flots par les fenêtres et César n’était plus là. J’eus à peine le temps de me préparer que Vittoro était déjà sur le pas de ma porte, à me dire qu’Il Cardinale me mandait auprès de lui.
Le conclave débutant incessamment, l’effervescence était à son comble dans le palazzo. Des hommes montaient la garde dans les moindres recoins, les domestiques allaient et venaient au pas de course et un véritable essaim de clercs et de secrétaires semblait avoir fondu sur nous. Toute cette agitation, pour prévisible qu’elle fût, n’en restait pas moins saisissante. J’étais presque contente de me retrouver dans le calme relatif du bureau de Borgia.
Il était occupé à mon arrivée, mais ne me fit pas attendre longtemps. Il était d’une forme étonnante, pour quelqu’un qui n’avait certainement guère eu le temps de prendre de repos ces derniers jours. Les crises paraissaient toujours lui redonner de l’énergie, ce qui était une chance au vu du nombre qu’il traversa dans sa vie. Lorsqu’il me vit, il sourit et leva une main pour congédier ses secrétaires, qui quittèrent les lieux en me lançant des regards renfrognés.
— Francesca, tu l’as l’air de bien aller. Je dois dire que c’est un soulagement, après ce qu’il s’est passé hier, à ce qu’on m’a dit. Tu n’as pas été blessée, donc ?
Il n’était guère surprenant qu’il connaisse en détail l’épisode de la basilique. César lui avait certainement fait son rapport pendant que j’étais occupée à terminer les préparatifs pour le conclave. À présent je priai pour qu’Il Cardinale comprenne la menace que Morozzi représentait toujours.
Je m’assis sur le fauteuil qu’il m’indiqua.
— Pas du tout, Éminence, mais merci de vous soucier de ma santé.
Borgia s’assit à son tour et me regarda longuement par-dessus son immense bureau. Son regard scrutateur me troublait, mais j’espérai réussir à n’en rien montrer.
— Oui, bon, répliqua-t-il. En tout cas, Morozzi a certainement prouvé qu’il ne manquait pas de ressources.
Ainsi résuma-t-il le plan consistant à crucifier un enfant et à soulever une foule enragée contre lui-même et les juifs.
— Et il ne va pas s’arrêter là, j’en ai bien peur, lui dis-je. Avez-vous entendu la rumeur selon laquelle il se trouvera au conclave ?
Je songeai combien les chances étaient infimes que j’aie un renseignement que Borgia n’ait pas, et cette fois-ci non plus je ne fus pas déçue. Il acquiesça d’un signe de tête, mais ne parut pas perturbé outre mesure.
— D’après ce que je comprends. Il a toujours en sa possession ton losange, c’est bien cela ?
Le souvenir de ma bêtise me restait sur le cœur.
— Nous devons partir du principe que oui.
— Dans ce cas, que proposes-tu de faire ?
— Tout ce qui est en mon pouvoir pour vous protéger, Éminence. Mais à vrai dire, si Morozzi se retrouve enfermé avec vous dans le conclave, je crains que les précautions prises jusqu’à présent en votre nom ne soient pas suffisantes. Comme vous l’avez dit, il ne manque pas de ressources. S’il trouve le moyen de substituer un plat ou un verre qui vous est destiné…
— Alors nous aurions un gros problème, n’est-ce pas ?
— Oui, Éminence, lui confirmai-je.
J’étais prête à me lancer dans le discours que j’avais préparé pour convaincre le Cardinal de commettre un acte si audacieux que même lui allait peut-être protester – lorsqu’il me coupa.
— Je ne vois qu’une solution, dit-il.
Je m’insurgeai à l’idée de me couper les cheveux. Même si j’avais été soulagée d’apprendre que Borgia et moi avions eu la même
Weitere Kostenlose Bücher