Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
sueur et tous deux comblés, mais ne voulant pourtant pas céder au sommeil. Nous passions trop peu de temps ensemble pour en concéder en plus à Morphée, ce voleur qui s’approche en catimini.
Je sentis César remuer auprès de moi.
— J’aurais dû prendre Morozzi en chasse. Il représente une menace pour mon père. Mais l’idée que tu puisses mourir…, ajouta-t-il en me caressant les seins.
J’appréciai la noblesse du sentiment, sincèrement ; mais le temps, ce fugitif, n’avait que faire de ces bagatelles, même si elles m’importaient à moi.
— Le conclave…
J’aurais continué plus avant si César n’avait poussé brusquement un grognement en laissant tomber sa tête en avant. Je le soupçonne d’avoir été quelque peu découragé devant mon manque d’intérêt pour ce qui était, venant de lui, une véritable déclaration.
— Oh, bon sang, est-on obligés ? Ne peut-on pas, juste un moment, faire comme si tout cela n’existait pas ?
Il m’arrivait d’oublier qu’il n’avait pas encore dix-sept ans. Lui, en revanche, avait oublié de se raser, et sa barbe me grattait la peau. Sans parler de son poids, si agréable au plus fort de la passion, et qui me donnait à présent la sensation d’être écrasée. Je lui saisis les cheveux des deux mains et le relevai pour l’obliger à me regarder.
— Toi tu peux, mais pas moi. Ton père est sur le point d’être enfermé dans une chapelle avec les plus habiles comploteurs de toute l’Église. Au moins l’un d’entre eux s’est allié à un fou qui possède le moyen de tuer Il Cardinale. Mon devoir est d’empêcher cela, alors j’apprécierais tes conseils.
— Tue della Rovere, répondit-il sans hésitation.
Certains ont fait l’erreur de voir en César un homme simple, mais je serais plutôt encline à penser qu’il avait une clarté d’esprit dont nombre d’entre nous manquons. Pour autant, il lui arrivait d’avoir tort.
— Je ne crois pas que ce soit la solution, répliquai-je pour me dérober.
Il soupira.
— Tu es une empoisonneuse. Pourquoi diable es-tu si réticente à l’idée de tuer les gens ?
— Je ne suis pas…
Le fait est que pour moi il n’était pas simplement question d’exercer mon travail : comme je l’avais récemment découvert, tuer était devenu une source de libération, voire de plaisir. Et quand bien même j’aurais préféré qu’il en soit autrement, j’avais la sagesse de ne pas escompter que la prière (à Dieu, à Borgia, ou à quiconque) soit capable de laver la noirceur de mon âme.
Mais comme je n’avais aucune raison d’expliquer tout cela à César, je me bornai à lui préciser :
— Parce que ce ne serait pas la meilleure façon de régler les choses, présentement.
— Alors dis-moi, que proposes-tu pour nous sortir de là ? Oh je sais, Lucrèce ne m’a-t-elle pas dit que fut un temps tu parlais de fuir en Angleterre, pour devenir mage à la cour de leur roi – quel est son nom déjà, Henri quelque chose ? Cela te tente toujours ?
— Peut-être bien, lui rétorquai-je, refusant de me sentir gênée à cause de mes erreurs de jeunesse. C’est le problème quand on connaît les gens depuis si longtemps : ils ont bien trop de souvenirs.
— Ou mieux encore, ajoutai-je. Nous pourrions faire de ton père le nouveau pape.
— Tu sais qu’il souhaite aussi me voir sur ce trône, un jour ?
Je savais que Borgia destinait son fils aîné à l’Église, mais entendre César parler aussi ouvertement des ambitions dynastiques de son père me surprit.
— Et veux-tu devenir pape ? lui demandai-je.
— Grands dieux, non !
Il était impossible de se méprendre sur sa ferveur, mais au cas où je douterais encore, il ajouta :
— Qu’on me donne un cheval et une épée et je referai le monde, mais pour l’amour du ciel, qu’on laisse Dieu en dehors de tout ça.
— Oui, d’accord. Tu sais aussi que tous les projets de ton père seront réduits à néant si della Rovere parvient à ses fins.
César soupira et se retourna sur le dos. Je sentis en bougeant la sueur qu’il avait fait naître sur ma peau, puis demandai :
— Tu sais ce qu’il a l’intention de faire ?
Il se tourna vers moi, se cala contre son coude et me regarda dans les yeux.
— Qui ? Mon père ou della Rovere ?
— Ton père, bien sûr. Je me fiche de l’autre. Il Cardinale connaît la situation mieux que quiconque. Comment entend-il la gérer ?
— Parce que tu crois
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