Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
circonstances, l’air que prit le beau visage de Ben Eliezer aurait pu être comique. Il avait manifestement un point en commun avec César : il n’était pas habitué à ce qu’une femme lui dise non.
Sofia, au contraire, semblait amusée.
— Tu penses que tu devrais mener l’opération ? me demanda-t-elle.
— Je pense que nous n’avons pas le choix, répliquai-je en toute sincérité. Vous n’avez aucun contact à l’intérieur du Vatican, et aucun espoir de vous en faire un rapidement. C’est la clé de notre succès. Et d’autre part, vous n’avez même pas le soutien de votre propre camp. (J’indiquai d’un geste le lieu où nous nous trouvions.) Si c’était le cas, nous ne serions pas là.
— Les rabbins pensent pouvoir nous sauver avec des prières, et les négociants avec de l’argent, commença Ben Eliezer.
Sofia l’interrompit :
— Elle dit seulement la vérité, David. Tu devrais lui en être reconnaissant. Cela nous fera gagner un temps précieux. (Elle se tourna alors vers moi.) Es-tu prête à faire une tentative ?
— Non, répondis-je, pas encore. Je ne sais même pas si mon père avait un contact à l’intérieur du Vatican. Il me faut d’abord m’en assurer, et ensuite le convaincre de coopérer de nouveau.
J’omis de leur dire qu’en cet instant, je n’avais qu’une très vague idée de la façon dont j’allais procéder.
— Nous avons très peu de temps, souligna David. L’édit pourrait être publié à tout moment.
— Nous avons au mieux quelques jours, lui confirmai-je. Borgia a été très clair sur ce point.
Ben Eliezer et Sofia se regardèrent, et je vis le désarroi s’abattre sur eux.
— À ce qu’on dit, le Cardinal sait tout sur tout, s’écria le premier. Assurément, il est capable de savoir avec qui votre père travaillait ?
— Borgia a fait tout ce qui était en son pouvoir dans cette affaire en me mettant dans la course, répliquai-je.
Tout ce que je savais de la personnalité d’Il Cardinale me le disait. Sa cruauté n’avait d’égale que sa prudence, et c’est grâce à ces deux traits de caractère qu’il était parvenu à s’élever si haut, à portée du pouvoir suprême.
— Il n’ira pas plus loin, poursuivis-je. Si on se fait prendre, il nous jettera dans la fosse aux lions. Vous devez absolument comprendre cela.
— Je n’en attendais pas moins d’un prince de la sainte Église, lança David d’un ton acerbe.
C’était tout aussi bien, car une fois embarqués dans une mission aussi périlleuse que celle-ci, nous ne pourrions compter que sur nous-mêmes pour nous en sortir. Dans l’état actuel des choses, nous aurions beaucoup de chance si même l’un d’entre nous y survivait.
J’étais sur le point de leur préciser ma pensée, mais quelque chose me retint. Si Sofia, Ben Eliezer et les autres juifs faisaient preuve d’un grand courage, ils n’en vivaient pas moins un cauchemar éveillé ; la mort et le désespoir les cernaient de toutes parts, et tout portait à croire que c’était loin d’être fini. Je n’avais nul besoin de leur rappeler la gravité de la situation.
— Sofia, l’interpellai-je, dans le peu de temps qu’il nous reste, pouvez-vous tenter de déterminer comment améliorer nos chances de succès ? De trouver quel type de sang correspondrait le mieux ?
— Je peux essayer, mais pour être honnête je ne sais pas vraiment comment m’y prendre.
— Faites de votre mieux, et j’en ferai autant de mon côté.
Si quelqu’un m’avait dit que je prendrais un jour pareil engagement envers une juive, je l’aurais pris pour un fou… Et pourtant.
— Il est temps de vous ramener à l’échoppe, déclara Ben Eliezer.
Il se leva et alla ouvrir la porte qui menait à la rue ; je le suivis.
Vittoro m’attendait devant l’entrée à mon arrivée ; aucun signe de Benjamin nulle part.
— Je commençais à m’inquiéter, lança le capitaine. Vous avez discuté pendant tout ce temps ?
Il fronça légèrement le nez, venant me rappeler l’odeur de saumure imprégnée sur mes vêtements.
— Nous avions beaucoup de choses à nous dire, résumai-je sans entrer dans les détails. (Je me tournai vers Sofia.) Je reviens dès que j’ai quelque chose.
Elle acquiesça d’un signe de tête et prit ma main dans la sienne. D’une voix douce, elle me dit :
— Que Dieu te protège, Francesca. Il a fait de toi une Juste, et tu es bénie.
Je ne savais ce que ses paroles
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