Gauvain
tradition irlandaise). Il importe, surtout de nos jours où l’on voit renaître tous les vieux démons racistes qu’on croyait à jamais engloutis en enfer, de renverser la polarité de certaines interprétations.
À première vue, l’ascension dynamique de Gauvain selon l’élévation, et donc la force du soleil, suffirait pour le faire définitivement classer comme héros solaire. Cette thèse serait parfaite dans un milieu classique méditerranéen, grec et latin notamment, et probablement alexandrin (milieu socioculturel qui n’est plus celui de l’Égypte ancienne, mais celui de la synthèse hellénistique). Mais, avec le cycle du Graal, dont les personnages appartiennent non plus au monde méditerranéen, mais au monde celtique extrême-occidental, nous sommes dans un tout autre contexte, encore que la légende du Graal ait des composantes incontestablement gnostiques, donc alexandrines. Et le refus de voir en Gauvain le Sol Invictus des Métroaques s’appuie sur un fait linguistique indéniable : à savoir que dans toutes les langues celtiques – ainsi que dans toutes les langues germaniques –, le soleil est du genre féminin et la lune du genre masculin. Ce fait, complètement ignoré des mythologues, à moins qu’il ne soit systématiquement occulté, remet évidemment en question toutes les interprétations qu’on peut faire des grands mythes essentiels.
Ainsi en est-il de Tristan et Yseult. Bien loin d’être une histoire d’amour romantique, c’est toute une réflexion sur le rôle respectif de l’homme et de la femme et de la nécessité qu’ils ont de s’unir. Yseult la Blonde (ce n’est pas pour rien !), dont le prototype irlandais se nomme Grainné, mot qui provient de grian , « soleil », est la « femme-soleil » par excellence, celle que le psychanalyste Pierre Solié a définie comme la Femme essentielle (c’est le titre d’un de ses livres). C’est elle qui mène le jeu et qui, en sauvant deux fois la vie à Tristan, lui donne la force et la chaleur nécessaires à vivre et à agir. Il est bien dit, dans le roman de Tristan en prose du XIII e siècle, que Tristan ne peut vivre plus d’un mois sans contact physique avec Yseult. On a vu là une allusion au cycle menstruel. Certes, c’en est une, mais ne voir qu’elle est grave, c’est oublier que Tristan, l’homme-lune, n’est rien sans Yseult. Au bout du cycle de 28 jours (ou plutôt de 28 nuits), Tristan est comme la lune : il disparaît, il n’est plus que la « lune noire ». Et il faut que la femme-soleil vienne le régénérer, lui restituer sa force avec tout son amour, ce prodigieux amour sans lequel aucun être ne peut vivre. C’est ce qu’ont compris tous les poètes, bien avant les psychologues et les mythologues, surtout ceux du XVI e siècle, quand ils se décrivent semblables à la fleur flétrie dans la rosée et qui « se recrée » aux rayons du soleil, c’est-à-dire aux regards de la femme aimée. Et si Tristan, à sa troisième blessure, meurt, ce n’est pas à cause du poison que charrient ses veines, mais de l’absence d’Yseult retenue en mer par la tempête, puis par le calme plat : elle est arrivée trop tard, le délai était passé, et la lune ne pouvait plus renaître. Mais que deviendrait le soleil sans la lune ? Yseult, liée éternellement à Tristan, ne peut plus vivre. Ainsi est constitué le couple primordial, à l’image des astres. Il en est de même pour Lancelot et la reine Guenièvre et, dans la tradition germano-scandinave, pour Sigurd-Siegfried et Brunhild. Dans les Eddas , la Valkyrie apparaît d’ailleurs nettement comme la « femme-soleil », prison-Mère qu’elle est dans une forteresse entourée de flammes, lorsque l’homme-lune Sigurd la délivre. Mais Sigurd mourra lorsqu’il aura abandonné, même à son corps défendant, la femme-soleil qui lui dispensait toute son énergie vitale. Une relecture des grands mythes de l’Occident s’impose, qui modifiera considérablement la vision falsifiée qu’en donne l’interprétation classique bâtie sur une polarité inversée. C’est aussi la seule façon de comprendre le sens profond de ce qu’on appelle communément l’Amour courtois du Moyen Âge, autrement dit la fine amor , en démystifiant définitivement le prétendu esclavage du chevalier en face de la Dame. Et cela expliquerait de façon précise l’importance croissante du culte rendu à la Vierge Marie dans tout l’Occident
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