Gauvain
évidence par la comparaison avec le soleil ascendant et descendant. Voici donc un redoutable guerrier, combattant implacable, intransigeant sur l’honneur, le sien comme celui des femmes qu’il se fait un devoir de protéger. Mais c’est aussi un homme torturé par le désir des femmes, obnubilé par sa recherche incessante de la féminité, incapable de dépasser le plan sensuel auquel il s’abandonne avec complaisance. Il y a là une différence fondamentale avec Lancelot du Lac, dont la « chaleur » (terme employé par les récits d’origine cistercienne) est toujours calmée par Guenièvre. Mais qui pourrait éteindre le feu qui brûle en Gauvain ? De plus, Lancelot se pose toujours des questions, parfois fort oiseuses, sur l’amour qu’il porte à Guenièvre, et il en arrive à une subtile casuistique qu’ignore complètement Gauvain : pourvu que la femme convoitée soit appétissante, celui-ci n’éprouve aucun problème. Les deux héros sont donc à cet égard plus que différents : antinomiques apparemment.
Mais le parallèle ne s’arrête pas là : il semble bien que Lancelot, introduit plus tard dans l’épopée arthurienne, ait pris la place de Gauvain auprès de Guenièvre. Ce serait d’ailleurs conforme au schéma mythologique classique que l’on retrouve explicitement dans la légende de Tristan et Yseult. Il est visible qu’existe une relation étroite mais inconsciente entre la reine et son neveu {4} ; et de toute façon, c’est bien Gauvain qui ramène Guenièvre de la cité de Gorre et non pas Lancelot, après avoir rivalisé de prouesses avec celui-ci pour arracher la captive à son tourmenteur. Mais, dans les récits christianisés, Lancelot, qui n’a aucun lien de parenté avec Arthur, était moins « choquant » que le propre neveu du roi dans le rôle d’amant de la reine. Il faut tenir compte de cette mentalité si l’on veut expliquer que dans l’état élaboré du cycle arthurien, Gauvain, tout en étant très important, a perdu la première place, qu’il devait occuper jadis, au profit de Lancelot du Lac. Y aurait-il rivalité entre les deux personnages ? C’est une rivalité fonctionnelle, avant tout, et qui sera explicitée dans le dernier volet du cycle, lorsque Lancelot et Gauvain se battront à mort, lors du duel judiciaire qui les oppose, bien entendu à cause de Guenièvre. La tragédie a besoin de victimes, et Gauvain en sera une, exemplaire, significative.
En attendant, Gauvain occupe sa place dans le monde arthurien. La tradition galloise, qui a conservé bon nombre de détails archaïques, en fait un personnage d’une portée considérable. Les poètes ne tarissent pas d’éloges à son propos, et les fameuses Triades de l’île de Bretagne , compilation d’éléments mythologiques et épiques, en font un des trois « nobles à la langue dorée », mettant ainsi en valeur son affabilité et son sens de la diplomatie. De fait, alors que Lancelot peut se révéler brutal et coléreux, alors que Kaï est fauteur de troubles, qu’Yvain est impétueux, Gauvain est toujours calme, réfléchi, équilibré, prêt à ramener la paix partout où éclatent des querelles. Et c’est le seul qui puisse se permettre de donner au roi Arthur des conseils de modération. Peut-être faut-il voir là l’influence discrète mais efficace de cette voix de Merlin qu’il a entendue et qu’il entendra sans doute encore au long de ses errances à travers landes et forêts, à la rencontre des deux mondes, celui des humains et celui des êtres féeriques. Gauvain se trouve toujours à la limite de ces deux territoires, allant de l’un à l’autre avec une facilité déconcertante, mais revenant, comme le faucon dont il porte le nom, à son point de départ, la cour d’Arthur, lieu central et privilégié bien que toujours mouvant autour duquel s’organise la vie des compagnons du roi.
Et la vie des compagnons de la Table Ronde, c’est la quête , même impossible. Yvain est parti en quête de l’aventure. Lancelot est en quête de Guenièvre. Perceval, le naïf, engagera sa longue quête sans savoir ce qu’il cherche. Galaad, le pur, le prédestiné, se dirigera tout droit vers le château du Graal. Mais, dans le vent qui frémit sous la voix de Merlin et sous le regard ironique de Morgane, Gauvain tente la quête de l’impossible.
Poul Fetan, 1994.
AVERTISSEMENT
Les chapitres qui suivent ne sont pas des traductions, ni même des adaptations
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