George Sand et ses amis
n'appartiennent point au passé. Ils ont un pas à faire faire à l'humanité. L'humilité d'esprit, le scrupule, l'orthodoxie sont des vertus de moine que Dieu défend aux réformateurs.»
Elle cède toutefois à l'ascendant du maître, au prestige du génie, et collabore au Monde, en même temps qu'elle refuse de travailler dans les Débats. De ce refus elle donne l'explication en une lettre à Jules Janin, du 15 février 1837 : «Je ne vous parle pas des opinions, qui sont choses sacrées, même chez une femme, mais seulement de la manière d'envisager la question littéraire. Songez que je n'ai pas l'ombre d'esprit, que je suis lourde, prolixe, emphatique, et que je n'ai aucune des conditions du journalisme.» Comme Jules Janin pouvait s'étonner qu'elle préférât aux Débats, riches et solides, un journal qui ne payait pas ses rédacteurs, elle déclare à son correspondant : «Je ne travaille pas dans le Monde, je ne suis l'associée de personne. Associée de l'abbé de Lamennais est un titre et un honneur qui ne peuvent m'aller. Je suis son dévoué serviteur. Il est si bon et je l'aime tant que je lui donnerai autant de mon sang et de mon encre qu'il m'en demandera. Mais il ne m'en demandera guère, car il n'a pas besoin de moi, Dieu merci ! Je n'ai pas l'outrecuidance de croire que je le sens autrement que pour donner, par mon babil frivole, quelques abonnés de plus à son journal ; lequel journal durera ce qu'il voudra et me paiera ce qu'il pourra. Je ne m'en soucie pas beaucoup. L'abbé de Lamennais sera toujours l'abbé de Lamennais, et il n'y a ni conseil ni association possibles pour faire, de George, autre chose qu'un très pauvre garçon.»
Un journal, tel que le Monde, ne pouvait guère insérer un vulgaire roman. George Sand lui donna une sorte de feuilleton philosophique, les Lettres à Marcie, qu'elle écrivait au jour le jour, malgré sa répugnance pour ce labeur hâtif et haletant.
Elle se reconnaît impropre à la «fabrication rapide, pittoresque et habilement accidentée de ces romans dont l'intérêt se soutient malgré les hasards de la publication quotidienne.» Elle ne continua pas les Lettres à Marcie, du jour où Lamennais abandonna la direction du Monde. «Je n'avais pas de goût, dit-elle, et je manquais de facilité pour ce genre de travail interrompu, et pour ainsi dire haché.» L'oeuvre avait cependant une idée directrice. George Sand voulait répondre aux prétendus moralistes qui l'avaient souvent mise au défi de dévoiler ses criminelles intentions à l'endroit du mariage. Elle expose sa doctrine sous le patronage de Lamennais, qui sera bientôt assez gêné de couvrir cette marchandise de son pavillon.
L'héroïne, Marcie, est une fille de vingt-cinq ans, sans fortune, à qui sont adressées les six Lettres qui traitent de la condition de la femme et de l'égalité des droits des deux sexes. Néanmoins, l'ami qui correspond avec elle, n'admet pas les équivoques revendications féminines formulées par les saint-simoniens. La théorie de l'amour libre, naguère préconisée par George Sand, a cédé devant l'austère influence de Lamennais. Voici la déclaration très explicite de la première Lettre : «Quant à ces dangereuses tentatives qu'ont faites quelques femmes dans le saint-simonisme pour goûter le plaisir dans la liberté, pensez-en ce que vous voudrez, mais ne vous y hasardez pas.» Et dans la troisième Lettre : «Les femmes crient à l'esclavage. Qu'elles attendent que l'homme soit libre, car l'esclavage ne peut donner la liberté !» En revendiquant certains droits pour la femme, George Sand n'a garde d'identifier ses facultés avec celles de l'homme. «L'égalité, dit-elle, n'est pas la similitude.»
Et elle répudie telles tendances aventureuses et chimériques : «Des velléités d'ambition se sont trahies chez quelques femmes trop fières de leur éducation de fraîche date. Les complaisantes rêveries des modernes philosophes les ont encouragées, et ces femmes ont donné d'assez tristes preuves de l'impuissance de leur raisonnement. Il est à craindre que les vaines tentatives de ce genre et ces prétentions mal fondées ne fassent beaucoup de tort à ce qu'on appelle aujourd'hui la cause des femmes. Les femmes ont des droits, n'en doutons pas, car elles subissent des injustices. Elles doivent prétendre à un meilleur avenir, à une sage indépendance, à une plus grande participation aux lumières, à plus de respect, d'estime et
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