George Sand et ses amis
obstacles. Ce sera le bon guide de l'heureux voyage, sous des cieux propices. Les Lettres à Marcie nous entraînent sur ses traces : «Quelques élus ont marché sans crainte et sans fatigue par des chemins bénis ; ils ont gravi des pentes douces à travers de riantes vallées... Ils ont dépouillé sans effort ni terreur le fond de la forme, l'erreur du mensonge ; ils ont tendu la main à ceux qui tremblaient, ils ont porté dans leurs bras les débiles et les accablés. Déjà ils pourraient sans doute formuler le christianisme futur, si le monde voulait les écouter ; et, quant à eux, ils ont placé leur temple sur les hauteurs au-dessus des orages, au-dessus du souffle des passions humaines.
Ceux-là ne connaissent ni indignation contre la faiblesse, ni colère contre l'incertitude, ni haine contre la sincérité. Peut-être l'avenir n'acceptera-t-il pas tout ce qu'ils ont conservé des formes du passé ; mais ce qu'ils auront sauvé d'éternellement durable, c'est l'amour, élan de l'homme à Dieu ; c'est la charité, rapport de l'homme à l'homme. Quant à nous qui sommes les enfants du siècle, nous chercherons dans notre Eden ruiné quelques palmiers encore debout, pour nous agenouiller à l'ombre et demander à Dieu de rallumer la lampe de la foi... Là où notre conviction restera impuissante à percer le mystère de la lettre, nous nous rattacherons à l'esprit de l'Evangile, doctrine céleste de l'idéal, essence de la vie de l'âme.»
Est-ce à dire que Lamennais acceptât de tous points les théories de sa collaboratrice ? Il devait, au contraire, en être inquiet et même épouvanté, si l'on s'en rapporte à la lettre que lui adressait George Sand, le 28 février 1837 : «Monsieur et excellent ami, écrit-elle de Nohant, vous m'avez entraînée, sans le savoir, sur un terrain difficile à tenir.» Elle en est effrayée, elle voudrait parler de tous les devoirs de la femme, du mariage, de la maternité, et ce sont matières scabreuses. Evitera-t-elle les fondrières ?» Je crains, confesse-t-elle, d'être emportée par ma pétulance naturelle, plus loin que vous ne me permettriez d'aller, si je pouvais vous consulter d'avance. Mais ai-je le temps de vous demander, à chaque page, de me tracer le chemin ? Avez-vous le temps de suffire à mon ignorance ? Non, le journal s'imprime, je suis accablée de mille autres soins, et, quand j'ai une heure le soir pour penser à Marcie, il faut produire et non chercher.»
Dans cette lettre qui résume ses hardiesses, elle proclame la nécessité du divorce, bien que, pour sa part, elle aimât mieux passer le reste de sa vie dans un cachot que de se remarier. Elle renonce à la théorie de l'union libre, mais elle proteste contre l'indissolubilité du mariage. «J'ai beau, dit-elle, chercher le remède aux injustices sanglantes, aux misères sans fin, aux passions souvent sans remède qui troublent l'union des sexes, je n'y vois que la liberté de rompre et de reformer l'union conjugale. Je ne serais pas d'avis qu'on dût le faire à la légère et sans des raisons moindres que celles dont on appuie la séparation légale aujourd'hui en vigueur.» Elle estime que Lamennais, chaste et inaccessible aux faiblesses humaines, ignore certains abîmes qu'elle-même a mesurés. «Vous avez vécu avec les anges ; moi, j'ai vécu avec les hommes et les femmes. Je sais combien on souffre, combien on pèche.» Mais, si elle évoque les fautes passées, elle déclare que son âge lui permet d'envisager avec calme les orages qui palpitent et meurent à son horizon. En cela, ou bien elle s'abuse, ou bien elle induit en erreur celui qu'elle appelle «père et ami.» La pécheresse n'a pas terminé son cycle.
Si Lamennais fut effarouché des Lettres à Marcie, il dut l'être bien davantage du Poème de Myrza, où George Sand transpose le procédé littéraire des Paroles d'un Croyant sur le mode amoureux. C'est, en un style alternativement mystique et voluptueux, la rencontre paradisiaque de l'homme et de la femme. Il la voit, l'admire et reconnaît l'oeuvre et la fille de Dieu. «Il marcha devant elle, et elle le suivit jusqu'à la porte de sa demeure, qui était faite de bois de cèdre et recouverte d'écorce de palmier.
Il y avait un lit de mousse fraîche ; l'homme cueillit les fleurs d'un rosier qui tapissait le seuil, et, les effeuillant sur sa couche, il y fit asseoir la femme en lui disant :-«L'Eternel soit béni.»-Et, allumant une torche de mélèze,
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