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George Sand et ses amis

George Sand et ses amis

Titel: George Sand et ses amis Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert le Roy
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l'austérité vers laquelle je me sentais attirée avec une sorte d'enthousiasme religieux.» Bref, elle résume ainsi sa vocation sentimentale : «J'avais de la tendresse et le besoin impérieux d'exercer cet instinct-là. Il me fallait chérir ou mourir.» Elle a beaucoup chéri, et elle est morte plus que septuagénaire.
    Huit années durant, Chopin fut un compagnon absorbant et tyrannique. Ilvoulait chaque année retourner à Nohant, et chaque année il y languissait. Mondain, il s'ennuyait à la campagne. Aristocrate et raffiné, il était froissé et choqué dans un milieu sans apprêt, où Hippolyte Chatiron, le bâtard né heureux, frère naturel de George Sand, lui prodiguait ses effusions d'après boire.
    Catholique exalté, il ne pouvait communier en la religion humanitaire de Lamennais ou de Pierre Leroux. Il demeurait pourtant, attaché par l'admiration, l'adulation, les caresses enveloppantes qui l'ensorcelaient. Ne se donnant qu'à demi, il voulait qu'on lui appartînt tout à fait. L'Histoire de ma Vie observe avec une netteté un peu cruelle : «Il n'était pas né exclusif dans ses affections ; il ne l'était que par rapport à celles qu'il exigeait. Il aimait passionnément trois femmes dans la même soirée de fête, et s'en allait tout seul, ne songeant à aucune d'elles, les laissant toutes trois convaincues de l'avoir exclusivement charmé.» Sa vanité maladive et son égoïsme allaient à ce point qu'il rompit avec une jeune fille qu'il allait demander en mariage, parce que, recevant sa visite avec celle d'un autre musicien, elle avait offert une chaise à ce dernier avant de faire asseoir Chopin.
    A Paris également, d'abord rue Pigalle, puis square d'Orléans, le pianiste poitrinaire vécut auprès de George Sand, qui remplit avec un zèle infatigable l'office de garde-malade. Un refroidissement advint, lorsqu'il crut qu'elle l'avait peint dans Lucrezia Floriani, sous les traits du prince Karol, un rêveur déséquilibré. Et Lucrezia n'était-ce pas elle-même, cette étrange femme qui a des passions de huit jours ou d'une heure toujours sincères, mère de quatre enfants issus de trois pères différents ? Ainsi se résume son signalement pathologique : «Une pauvre vieille fille de théâtre comme moi, veuve de... plusieurs amants (je n'ai jamais eu la pensée d'en revoir le compte).» Chopin avait lu Lucrezia Floriani, jour après jour, sur la table de George Sand. Il ne s'alarma et ne se crut visé que lorsque l'oeuvre parut en feuilleton dans la Presse : c'était au commencement de 1847.
    Le roman se termine par la victoire que l'amour des enfants remporte sur l'amour des amants. Il en fut de même dans la vie réelle. A la suite d'une querelle avec Maurice qui parla de quitter la partie-«cela, dit George Sand, ne pouvait pas et ne devait pas être».-Chopin abandonna, en juillet 1847, la maison du square d'Orléans. Elle murmure avec mélancolie : «Il ne supporta pas mon intervention légitime et nécessaire. Il baissa la tête et prononça que je ne l'aimais plus. Quel blasphème, après ces huit années de dévouement maternel ! Mais le pauvre coeur froissé n'avait pas conscience de son délire.» Et elle écrit à Charles Poncy, l'ouvrier-poète : «J'ai été payée d'ingratitude, et le mal l'a emporté dans une âme dont j'aurais voulu faire le sanctuaire et le foyer du beau et du bien... Que Dieu m'assiste ! je crois en lui et j'espère.»
    Avant la mort de Chopin survenue le 17 octobre 1849, ils se rencontrèrent une seule fois dans un salon ami. George Sand s'approcha avec angoisse ; en balbutiant : «Frédéric.» Il rencontra son regard suppliant, pâlit, se leva sans répondre et s'éloigna. Quels étaient ses mystérieux griefs ? C'est le mutuel secret que tous deux ont emporté dans la tombe. Au terme de l'Histoire de ma Vie, George Sand se contente de quelques éloquentes apostrophes à ceux qu'elle a aimés et qui ont cessé d'être. Chopin, qui avait eu le plus long bail, doit en prendre sa part : «Saintes promesses des cieux, s'écrie-t-elle, où l'on se retrouve et où l'on se reconnaît, vous n'êtes pas un vain rêve !... O heures de suprême joie et d'ineffables émotions, quand la mère retrouvera son enfant, et les amis les dignes objets de leur amour !» Puis, faisant un retour sur soi-même, voici qu'elle prononce cette lugubre parole : «Mon coeur est un cimetière.»
    Sans doute elle y voit défiler les cortèges et s'accumuler les

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