George Sand et ses amis
l'aime ! Le plus grossier mendiant a pour lui un amour invincible. Qu'on lui bâtisse des hôpitaux aussi riches que des palais, ce seront toujours des prisons ; sa poésie, son rêve, sa passion, ce sera toujours le grand chemin.»
Après un séjour à la cour de Marie-Thérèse, où l'élève préférée du Porpora, la compagne d'Haydn, redevient cantatrice, voici le retour au château des Géants. Elle y arrive pour épouser Albert et pour assister à sa mort. Mais cette mort-comme nous le verrons dans les deux volumes suivants de la Comtesse de Rudolstadt-n'était qu'une crise de catalepsie. Consuelo, veuve aussitôt que mariée, et dédaigneuse de la richesse, a quitté Vienne pour se réfugier à Berlin.
Elle y courra d'autres dangers. Frédéric la poursuivra de ses assiduités, puis de sa rancune. Alors se succèdent la silhouette de Voltaire et celle de la soeur du roi, Amélie, abbesse de Quedlimbourg. Elle a une périlleuse aventure d'amour. Consuelo, qui s'y trouve mêlée par dévouement, est arrêtée, incarcérée à Spandau, sous la surveillance des époux Schwartz. Or c'est à leur fils, le mystique et sentimental Gottlieb, qu'elle devra la liberté. Ça et là, apparaissent de délicieux épisodes, ainsi celui du rouge-gorge et les adieux de Consuelo à sa prison.
Elle est libre, sauvée, entraînée dans une voiture par un individu masqué. Quel est-il ? Elle ressent un trouble profond et ne songe pas à se dérober. Tandis que les chevaux galopent, elle s'endort auprès de ce singulier compagnon, qui a serré les deux bras autour de sa taille. Au réveil, elle essaie de se dégager, mais sans trop insister. Un vague attrait la domine. «L'inconnu rapprocha Consuelo de sa poitrine, dont la chaleur embrasa magnétiquement la sienne, et lui ôta la force et le désir de s'éloigner. Cependant il n'y avait rien de violent ni de brutal dans l'étreinte douce et brûlante de cet homme. La chasteté ne se sentait ni effrayée ni souillée par ses caresses ; et Consuelo, comme si un charme eût été jeté sur elle, oubliant la retenue, on pourrait même dire la froideur virginale dont elle n'avait jamais été tentée de se départir, même dans les bras du fougueux Anzoleto, rendit à l'inconnu le baiser enthousiaste et pénétrant qu'il cherchait sur ses lèvres. Comme tout était bizarre et insolite chez cet être mystérieux, le transport involontaire de Consuelo ne parut ni le surprendre, ni l'enhardir, ni l'enivrer.
Il la pressa encore lentement contre son coeur ; et quoique ce fut avec une force extraordinaire, elle ne ressentit pas la douleur qu'une violente pression cause toujours à un être délicat. Elle n'éprouva pas non plus l'effroi et la honte qu'un si notable oubli de sa pudeur accoutumée eût dû lui apporter après un instant de réflexion. Aucune pensée ne vint troubler la sécurité ineffable de cet instant d'amour senti et partagé comme par miracle. C'était le premier de sa vie. Elle en avait l'instinct ou plutôt la révélation ; et le charme en était si complet, si profond, si divin, que rien ne semblait pouvoir jamais l'altérer. L'inconnu lui paraissait un être à part, quelque chose d'angélique dont l'amour la sanctifiait. Il passa légèrement le bout de ses doigts, plus doux que le tissu d'une fleur, sur les paupières de Consuelo, et à l'instant elle se rendormit comme par enchantement. Il resta éveillé cette fois, mais calme en apparence, comme s'il eût été invincible, comme si les traits de la tentation n'eussent pu pénétrer son armure. Il veillait en entraînant Consuelo vers des régions inconnues, tel qu'un archange emportant sous son aile un jeune séraphin anéanti et consumé par le rayonnement de la Divinité.»
Le lecteur a deviné, mais Consuelo ignore que l'inconnu c'est Albert de Rudolstadt, sorti de léthargie. Elle est légitimement enlevée par son époux. Avec lui, et sous la sympathique protection de cet homme masqué, elle s'initiera à la doctrine des Invisibles, confrérie franc-maçonnique. Ils lui révéleront la trilogie démocratique : Liberté, Egalité, Fraternité, et ils démontreront qu'elle procède de l'Evangile. Leur foi est le déisme chrétien. Ecoutez les questions et les réponses de cette initiation : «Qu'est-ce que le Christ ?-C'est la pensée divine, révélée à l'humanité.-Cette pensée est-elle tout entière dans la lettre de l'Evangile ?-Je ne le crois pas ; mais je crois qu'elle est tout
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