George Sand et ses amis
Journal des Débats, lorsque éclata la révolution de février 1848. Il fallut interrompre la publication : la politique reléguait à l'arrière-plan la littérature romanesque. Quatre mois révolus, George Sand, désabusée, reprenait sa plume rustique et composait la Petite Fadette. Elle explique, dans la notice de l'ouvrage, que «l'horreur profonde du sang versé de part et d'autre et une sorte de désespoir à la vue de cette haine, de ces injures, de ces menaces, de ces calomnies qui montent vers le ciel comme un impur holocauste, à la suite des convulsions sociales», s'emparèrent de son esprit, au lendemain des journées de Juin. Elle alla demander au contact de la nature et à la contemplation de la vie rurale, sinon le bonheur, du moins la foi. Tout comme un politique évincé, elle retournait à ses chères études. Les lettres ont une vertu mystérieusement apaisante, que George Sand préconise. «L'artiste, dit-elle, qui n'est que le reflet et l'écho d'une génération assez semblable à lui, éprouve le besoin impérieux de détourner la vue et de distraire l'imagination, en se reportant vers un idéal de calme, d'innocence et de rêverie. Sa mission est de célébrer la douceur, la confiance, l'amitié, et de rappeler ainsi aux hommes endurcis ou découragés, que les moeurs pures, les sentiments tendres et l'équité primitive sont ou peuvent être encore de ce monde. Les allusions directes aux malheurs présents, l'appel aux passions qui fermentent, ce n'est point là le chemin du salut ; mieux vaut une douce chanson, un son de pipeau rustique, un conte pour endormir les petits enfants sans frayeur et sans souffrance, que le spectacle des maux réels renforcés et rembrunis encore par les couleurs de la fiction.»
Dans la Petite Fadette, George Sand remplit son dessein. C'est une naïve et touchante histoire que celle des deux bessons, Landry et Sylvinet. Et Fadette, «le pauvre grelet,» est une étrange créature, qui se rend à la danse, plaisamment habillée : «Elle avait une coiffe toute jaunie par le renfermé, qui, au lieu d'être petite et bien retroussée par le derrière, selon la nouvelle mode du pays, montrait de chaque côté de sa tête deux grands oreillons bien larges et bien plats ; et, sur le derrière de sa tête, la cayenne retombait jusque sur son cou, ce qui lui donnait l'air de sa grand'mère et lui faisait une tête large comme un boisseau sur un petit cou mince comme un bâton. Son cotillon de droguet était trop court de deux mains ; et, comme elle avait grandi beaucoup dans l'année, ses bras maigres, tout mordus par le soleil, sortaient de ses manches comme deux pattes d'aranelle. Elle avait cependant un tablier d'incarnat dont elle était bien fière, mais qui lui venait de sa mère, et dont elle n'avait point songé à retirer la bavousette, que, depuis plus de dix ans, les jeunesses ne portent plus.»
Landry précisément, le bel adolescent, fait grief à Fanchon Fadet de ne point être coquette comme le sont les autres danseuses. «C'est, dit-il, que tu n'as rien d'une fille et tout d'un garçon, dans ton air et dans tes manières ; c'est que tu ne prends pas soin de ta personne. Pour commencer, tu n'as point l'air propre et soigneux, et tu te fais paraître laide par ton habillement et ton langage.» En effet, elle galope sur une jument sans bride ni selle, elle grimpe aux arbres comme un chat-écurieux, et les enfants du pays l'appellent le grelet ou même le mâlot.
De tous ces reproches Fadette est fort marrie, car elle a du penchant pour Landry, le joli gars. Mais à quoi bon y songer et se troubler la cervelle ? «Je sais, dit-elle, ce qu'il est, et je sais ce que je suis. Il est beau, riche et considéré ; je suis laide, pauvre et méprisée.» N'importe, elle est touchée, et l'amour exerce sur elle son influence coutumière. Elle en sera embellie, métamorphosée. Et voyez comme elle apparaît un dimanche à la messe : «C'était bien toujours son pauvre dressage, son jupon de droguet, son devanteau rouge et sa coiffe de linge sans dentelle ; mais elle avait reblanchi, recoupé et recousu tout cela dans le courant de la semaine. Sa robe était plus longue et tombait plus convenablement sur ses bas, qui étaient bien blancs, ainsi que sa coiffe, laquelle avait pris la forme nouvelle et s'attachait gentillement sur ses cheveux noirs bien lissés ; son fichu était neuf et d'une jolie couleur jaune doux qui faisait valoir sa peau brune. Elle
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