George Sand et ses amis
domaine et sera la meilleure part de son héritage. En 1840, elle retraçait dans Pauline les aventures d'une fille de province, devenue actrice, qui rentre dans sa ville natale, revoit une amie, l'emmène à Paris, et ne réussit qu'à troubler une placide existence. Le manuscrit, commencé en 1832, au temps de Valentine, fut égaré, puis retrouvé huit ans après, et terminé ; on sent que cette nouvelle n'est pas d'une seule venue et que deux procédés différents s'y rencontrent, sans se fondre et s'amalgamer.-Il y a lieu pareillement de faire des réserves sur Isidora, médiocre roman en trois parties, publié en 1845. Le jeune Jacques Laurent a le coeur partagé entre la courtisane Isidora, mariée in extremis au comte Félix, et sa belle-soeur la chaste Alice. C'est une série de dissertations où se rencontre cette définition alambiquée : «L'amour est un échange d'abandon et de délices ; c'est quelque chose de si surnaturel et de si divin, qu'il faut une réciprocité complète, une fusion intime des deux âmes ; c'est une trinité entre Dieu, l'homme et la femme.
Que Dieu en soit absent, il ne reste plus que deux mortels aveugles et misérables qui luttent en vain pour entretenir le feu sacré, et qui l'éteignent en se le disputant.» Plus loin, un parallèle entre la jeunesse, comparée à un admirable paysage des Alpes, et la vieillesse, qui ressemble à un vaste et beau jardin, bien planté, bien uni, bien noble, à l'ancienne mode.
Teverino est de la même année 1845. Il n'y faut voir qu'une fantaisie sans plan, sans but, à la suite d'un jeune aventurier déguisé en homme du monde. Emule de Figaro, tour à tour modèle, batelier, jockey, enfant de choeur, figurant de théâtre, chanteur des rues, marchand de coquillages, garçon de café, cicérone, Teverino est un de ces enfants de l'Italie qui ont le sens de la beauté, le goût de la paresse et l'immoralité native.-De provenance analogue le roman de Lucrezia Floriani, paru en 1847. Fille du pêcheur Menapace, la Floriani est enlevée par le jeune Memmo Ranieri, remporte de grands succès au théâtre, et se retire au bord du lac d'Iseo, où elle conquiert le coeur du prince Karol de Roswald. Et l'on prétendit que leur étrange et vraisemblable liaison était précisément celle de George Sand et de Chopin.-A la même époque et à la même inspiration se rattache une petite nouvelle, Lavinia, qui met en scène une héroïne coupant ses cheveux pour en faire un sacrifice à l'amour. A cela près, cette restitution de lettres, après dix ans de rupture, n'offre, en dépit du cadre pyrénéen de Saint-Sauveur, qu'un médiocre agrément.
Entre toutes les oeuvres contemporaines des romans socialistes, il en est une qui mérite d'être retenue et attentivement examinée. C'est Jeanne, publiée en 1844 par le Constitutionnel, alors que George Sand avait rompu avec la Revue des Deux Mondes. Pour la première fois elle se hasardait dans le feuilleton d'un journal quotidien. «Ce mode, dit-elle, exige un art particulier que je n'ai pas essayé d'acquérir, ne m'y sentant pas propre. Alexandre Dumas et Eugène Sue possédaient dès lors, au plus haut point, l'art de finir un chapitre sur une péripétie intéressante, qui devait tenir sans cesse le lecteur en haleine, dans l'attente de la curiosité ou de l'inquiétude. Tel n'était pas le talent de Balzac, tel est encore moins le mien.» Mais surtout George Sand abordait un genre nouveau, celui où elle obtiendra ses plus éclatants et plus durables succès. Elle le déclare dans la notice de 1852 : «Jeanne est une première tentative qui m'a conduit à faire plus tard la Mare au Diable, le Champi et la Petite Fadette. La vierge d'Holbein m'avait toujours frappé comme un type mystérieux où je ne pouvais voir qu'une fille des champs rêveuse, sévère et simple : la candeur infinie de l'âme, par conséquent un sentiment profond dans une mélancolie vague, où les idées ne se formulent point. Cette femme primitive, cette vierge de l'âge d'or, où la trouver dans la société moderne ?» George Sand a voulu que son héroïne fût une paysanne gauloise, sorte de Jeanne d'Arc ignorée, qui ne sût ni lire ni écrire, et vécût, non pas même aux champs, mais au désert, «sur une lande inculte, sur une terre primitive qui porte les stigmates mystérieux de notre plus antique civilisation.» Malheureusement, le romancier fut entravé ou par la hâte de son travail, ou par la
Weitere Kostenlose Bücher