George Sand et ses amis
frère Archangias, dans la Faute de l'abbé Mouret. Lélia se désintéresse des troubles de Magnus, mais elle voudrait apaiser ceux du triste et beau Sténio. De ce soin elle charge sa soeur Pulchérie, qu'elle retrouve après bien des années de séparation et qui, au lieu de s'adonner à la métaphysique, prodigue aux hommes des consolations momentanées et mercenaires. Entre les deux sœurs George Sand a ménagé une antithèse qui se peut ainsi résumer : Pulchérie, c'est la courtisane du corps ; Lélia, la courtisane de l'âme. Et l'on retrouve là l'écho des controverses de l'auteur avec son amie, l'actrice Marie Dorval.
A la faveur de la nuit, une substitution s'opère, dans une fête de la villa Bambucci. Sténio, qui a passé des heures délicieuses à philosopher avec Lélia, s'aventure dans des appartements sombres et ne reconnaît qu'à l'aube Pulchérie. Désespoir du poète, détresse de Lélia. Seule Pulchérie ne se plaint pas. Désormais Sténio est voué à la débauche, et Lélia au cloître. Elle s'enferme et devient abbesse au couvent des Camaldules, pour régénérer la règle d'observance et faire régner le christianisme intégral, avec la pureté des âges primitifs. Elle pense ramener dans les sentiers de la vertu un cardinal pervers, qui s'intéresse passionnément à la communauté et à la révérende mère abbesse : nous sommes dans une atmosphère moins ascétique que celle de Port-Royal. Sténio, dont l'amour s'est transformé en jalousie et en haine, se déguise en religieuse et vient participer à une conférence contradictoire d'édification, où l'orthodoxie de Lélia triomphe de son diabolique adversaire.
Faute de mieux, il essaie d'enlever une des novices, la princesse Claudia. Mais Lélia, vengeresse de l'honneur du couvent, surgit comme un fantôme et entrave ses desseins. Que reste-t-il au poète, sans abbesse, sans novice, sinon de se noyer dans le lac prochain ? Il met ce projet à exécution, et il est temps, car le roman est déjà très long, débordant de digressions fastueuses, de descriptions variées et de tirades éloquentes. Lélia, qui n'a pas voulu partager la vie de Sténio, tient à le rejoindre dans la mort. C'est une femme d'un caractère compliqué et contradictoire. Mais l'au delà, paraît-il, ne comporte pas de solutions définitives ; car Trenmor, voyant sur le lac, non loin des tombes de Lélia et de Sténio, voltiger deux feux follets qui tantôt se rapprochent, tantôt s'éloignent, se demande si les infortunés ont réussi, dans un effort posthume, à accrocher leurs atomes. Et ce Trenmor, qui est en même temps un grand réformateur, le mystérieux carbonaro et franc-maçon Valmarina, reprend son bâton pour aller soulager d'autres douleurs humaines. La route sera longue.
George Sand, se commentant elle-même, a essayé d'expliquer, dans un morceau adressé à François Rollinat, que les divers personnages de Lélia sont comme les reflets et les modalités de son être, les formes successives de sa pensée et de sa vie : «Magnus, c'est mon enfance, Sténio ma jeunesse, Lélia est mon âge mûr. Trenmor sera ma vieillesse peut-être.»
Plus véridique nous apparaît l'interprétation donnée dans la seconde préface du livre, celle de l'édition revue de 1836, d'après laquelle les personnages représentent les divers éléments de synthèse philosophique du dix-neuvième siècle : «Pulchérie, l'épicuréisme héritier des sophismes du siècle dernier ; Sténio, l'enthousiasme et la faiblesse d'un temps où l'intelligence monte très haut, entraînée par l'imagination, et tombe très bas, écrasée par une réalité sans poésie et sans grandeur ; Magnus, le débris d'un clergé corrompu et abruti.»
Quant à Lélia, c'est, au dire de George Sand, «la personnification encore plus que l'avocat du spiritualisme de ces temps-ci ; spiritualisme qui n'est plus chez l'homme à l'état de vertu, puisqu'il a cessé de croire au dogme qui le lui prescrivait, mais qui reste et restera à jamais, chez les nations éclairées, à l'état de besoin et d'aspiration sublime, puisqu'il est l'essence même des intelligences élevées.»
La substance des caractères ainsi déterminée, cherchons à préciser les linéaments de ces physionomies. Lélia d'abord. Sténio lui écrit du style le plus tendu et avec des sentiments presque surhumains, à tout le moins suraigus : «J'aurais voulu m'agenouiller devant vous et baiser la trace embaumée de
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