George Sand
tard la question sociale tout entière dans les romans de George Sand. Elle s'enhardit en dehors des limites qu'elle avait tout d'abord tracées autour de sa pensée. Elle ne s'arrêta pas, comme en 1836, à la crainte de se poser en réformateur de la société ; elle entreprit de porter remède, sur les principaux points, à l'infâme décrépitude du monde.
Exaltation dans le sentiment, faiblesse et incohérence dans la conception, voilà ce qui caractérise les théories sociales de Mme Sand.
Nous n'insisterons pas sur ce côté si connu et si souvent discuté de ses oeuvres, où d'ailleurs il y aurait bien des questions de propriété ou de voisinage à résoudre entre elle et ceux qu'elle se plut à nommer ses maîtres dans l'oeuvre de destruction et de reconstruction qu'elle préparait. D'ailleurs, il faut bien se le dire, depuis ces âges lointains des politiciens et des philosophes dont la pensée agitait les réformes futures, cette partie des romans de Mme Sand a étrangement vieilli. Il semble, lorsqu'on les relit à près de cinquante ans de distance, que l'on assiste à une exhumation de doctrines antédiluviennes. Étrange et magnifique supériorité de la poésie, qui est la fiction dans l'art, sur l'utopie, qui est la fiction violente dans la réalité sociale ! Tout ce qui reste de l'art pur, de l'art désintéressé, dans les récits de cette période, conserve à travers les années la sérénité d'une incorruptible et radieuse jeunesse. Les figures aimées, qu'on y rencontre avec tant de plaisir, dans les intervalles de la thèse qui déclame, peuplent encore notre imagination et sont comme le charme immortel de notre souvenir. Au contraire, tout ce qui relève du système, toutes ces doctrines si trompeuses, si vagues, si pleines de spécieuses promesses et de formules sibyllines, tout ce qui rappelle ces grandes épopées de la philosophie de l'avenir, tout cela porte les traces d'une effroyable caducité, tout cela est mort, irrémissiblement mort. Qui aurait le courage, aujourd'hui, de relire ou de discuter des pages, écrites pourtant avec une conviction ardente, sous la dictée des grands prophètes, comme celles qui remplissent le second volume de la Comtesse de Rudolstadt, les trois quarts du Péché de M. Antoine, et cet Évenor, dont je ne peux évoquer le souvenir sans un indicible effroi ? Est-il besoin de rappeler même les traits fondamentaux de la doctrine, le mélange d'un mysticisme historique élaboré par Pierre Leroux, et d'un radicalisme révolutionnaire naïvement imité de Michel (de Bourges) ?
Mme Sand a toujours eu un goût très vif, une passion véritable pour les idées, mais elle les interprète en les mêlant et les confondant toutes. Sa métaphysique est fort incertaine et vague. George Sand est idéaliste, sans doute, et c'est par là qu'elle se distingue profondément de l'école des romanciers qui l'ont suivie. Mais qui pourrait définir clairement sa pensée dans les oeuvres diverses où elle a essayé de l'exprimer ? Elle a l'élan vigoureux, elle a le coup d'aile vers les régions mystérieuses. Mais quelle doctrine précise rapporte-t-elle de ces explorations sublimes ? Que l'on essaye seulement de comprendre quel sens prend sous sa plume, en certaines circonstances solennelles, ce grand mot Dieu, dont elle use avec une sorte de prodigalité ? Que devient-il, ce nom, au bout des transformations que sa pensée a subies dans ses diverses phases, à travers les maîtres qu'elle a écoutés avec une curiosité docile et passionnée ? Que devient-il dans cet immense laboratoire humanitaire, ce Dieu de l'amour pur, que Lélia appelait dans sa prière désespérée, dans l'église des Camaldules, ce Dieu de vérité que Spiridion invoquait, d'un coeur enflammé, à travers les persécutions des moines, dans les sombres visions du cloître ? Sous l'influence de Pierre Leroux, il semble bien qu'il soit devenu le commencement et le terme du circulus universel. Plus tard, affranchie de la secte, Mme Sand rendra au nom de Dieu une partie de sa signification compromise et de ses attributs perdus. Mais ce serait toute une histoire que de raconter l'odyssée de ce Dieu successivement transformé, anéanti et finalement retrouvé. C'est tout un avatar dont le sens reste souvent une énigme.
Loin de nous toute pensée d'ironie ! Ces choses sont graves, et il faudrait être misérablement gai pour en rire ; d'ailleurs ces idées philosophiques et sociales ont
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