George Sand
juridiction du roman, tout aussi bien qu'à celle de la comédie. À ceux qui lui ont demandé ce qu'elle mettrait à la place des maris, elle a répondu naïvement que c'était le mariage, de même qu'à la place des prêtres, qui ont compromis la religion, elle croit que c'est la religion qu'il faut mettre. Elle a fait peut-être une autre grande faute contre le langage, lorsque, en parlant des abus et des vices de la société, elle a dit la société ; elle jure qu'elle n'a jamais songé à refaire la Charte constitutionnelle ; elle n'a pas eu, d'ailleurs, l'intention qu'on lui prête de donner au monde son malheur personnel en preuve de sa thèse, faisant ainsi d'un cas privé une question sociale. Elle s'est bornée à développer des aphorismes aussi péremptoires que ceux-ci : «Le désordre des femmes est très souvent provoqué par la férocité ou l'infamie des hommes».—«Un mari qui méprise ses devoirs de gaieté de coeur, en jurant, riant et buvant, est quelquefois moins excusable que la femme qui trahit les siens en pleurant, en souffrant et en expiant.» Mais enfin quelle est sa conclusion ? Évidemment cet amour qu'elle édifie et qu'elle couronne sur les ruines de l'infâme est son utopie ; cet amour est grand, noble, beau, volontaire, éternel ; mais cet amour, «c'est le mariage tel que l'a fait Jésus, tel que l'a expliqué saint Paul, tel encore, si vous voulez, que le chapitre VI du titre V du Code civil en exprime les devoirs réciproques».
C'est, en un mot, le mariage vrai, idéal, humanitaire et chrétien à la fois, qui doit faire succéder la fidélité conjugale, le véritable repos et la véritable sainteté de la famille à l'espèce de contrat honteux et de despotisme stupide qu'a engendrés la décrépitude du monde.
Malgré tout, l'objection de fond subsiste toujours. Comment tirer un pacte irrévocable d'éléments aussi changeants, aussi fugaces que l'amour ? Comment le sacrement social du mariage pourra-t-il avoir une chance quelconque de stabilité, s'il n'est que la constatation de la passion ? Ne faut-il pas toujours y faire intervenir un élément plus solide, plus substantiel, ou l'honneur ou un serment social, ou un engagement religieux qui lui donne une règle et un appui ? Et que deviendront, dans le péril de ces unions mobiles si facilement rompues, la faiblesse de la femme abandonnée ou celle de l'enfant trahi ?
On dirait que Mme Sand elle-même a reconnu tardivement la force de l'objection. Elle s'est fort amendée dans les derniers romans. Comme exemple, voyez Valvèdre, la contre-partie de Jacques dont la conclusion logique était que le mariage tombe de soi avec l'amour. Rien n'est plus curieux que de voir le même sujet traité deux fois par un auteur sincère, à vingt-sept ans de distance, chaque fois avec les préoccupations différentes qu'apporte la vie et qui imposent aux héros du roman des destinées si différentes, au roman lui-même deux dénouements contraires. Le sujet est le même : la lutte du mari et de l'amant ; mais comme cette lutte se termine différemment ! Par malheur, Valvèdre ne vaut pas Jacques.
La verve et le charme se sont en partie éclipsés. Alida, c'est encore Fernande, mais dépouillée de sa poésie, passionnée à froid et dans le faux. L'amant n'a guère changé. Qu'il s'appelle Octave ou Francis, c'est toujours le même personnage qui prodigue l'héroïsme dans les mots et qui débute dans la vie par immoler une femme à son amour-propre. Mais le mari n'est plus cet insensé sublime qui se tue pour n'être pas un obstacle dans la vie de celle qu'il aime follement et pour faire que le bonheur de sa femme ne soit pas un crime. Jacques s'appelle maintenant Valvèdre ; il a réfléchi, il a cherché des consolations dans l'étude. Il a tué en lui la folie du désespoir ; il n'abdique pas son rôle et son devoir de mari ; il ne cède plus volontairement sa femme à Octave, et quand sa femme l'a quitté, quand elle meurt de la situation fausse où l'a jetée le dépit plus que l'amour, il apparaît près du lit funèbre ; il reprend à l'amant faible et inutile le coeur de cette femme qui va mourir. Il écrase Francis de sa générosité, tout en lui enlevant la joie de la dernière pensée d'Alida. Le dénouement est, on le voit, tout l'opposé de l'ancien roman. La réflexion a fait son oeuvre, la vie aussi.
Il est certain que c'est l'attaque vive contre les lois à propos du mariage qui introduisit plus
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