George Sand
Saint-Geneix, qui avez vaincu un ennemi plus fort que la rudesse du paysan, l'implacable orgueil d'un préjugé, et qui, à force de réserve, de pudeur, de grandeur d'âme, d'héroïsme simple et modeste, avez soumis toutes les résistances, amélioré toutes les âmes, transformé autour de vous toutes les fatalités d'éducation et de race ; vous toutes, vous avez su noblement et délicatement aimer, vous avez fait connaître un jour, une heure, la vraie grandeur dans l'amour vrai. Vous avez ému l'âme de plusieurs générations. Vous vivrez maintenant au milieu de ce peuple idéal que le génie crée et qui vit du souffle immortel de l'art.
La conception que Mme Sand s'est faite de l'amour n'a pas été indifférente ; elle a eu des conséquences d'une certaine portée.
C'est par l'idée de la passion irresponsable que la lutte de Mme Sand a commencé contre l'opinion, contre les lois sociales, et que cette lutte s'est tout d'abord introduite dans les romans, où plus tard elle s'est fait une si large place.
Là s'est révélée une lacune qu'il serait inutile de ne pas signaler dans la nature morale de Mme Sand, tant elle s'y trahit manifestement d'elle-même. Ce qui manque à cette âme si puissante et si riche d'enthousiasme, c'est une humble qualité morale qu'elle dédaigne et qu'elle calomnie même, quand elle vient à en parler, la résignation, qui n'est pas, comme elle semble le croire, l'inerte vertu des âmes basses, pliées d'avance à tous les jougs dans une superstitieuse servilité devant la force. C'est là une fausse et dégradante résignation ; la véritable procède de la conception de l'ordre universel, au prix duquel les souffrances individuelles, sans cesser d'être une occasion de mérite, cessent d'être un droit à la révolte. Que deviendrait la société si chacun, armant sa passion de la force, la jetait en guerre à travers les intérêts légitimes ou les droits contraires ? Ce serait la société élémentaire selon Hobbes, la lutte de l'homme devenu un loup pour l'homme. La résignation, entendue dans son vrai sens, philosophique et chrétien, est une acceptation virile des lois morales et aussi des lois nécessaires au bon ordre des sociétés, elle est une adhésion libre à l'ordre, un sacrifice consenti par la raison d'une partie de son bien particulier et de sa liberté personnelle, non à la force ou à la tyrannie d'un caprice humain, mais aux exigences du bien général, qui ne subsiste que par l'accord des libertés individuelles et des passions réglées. Cette conception manque tout à fait à Mme Sand.
Elle ne sait pas se résigner, et l'orgueil de la passion frémit dans toutes ses oeuvres, superbe et révolté.
De là ces déclamations célèbres sur les droits de l'être humain à secouer le joug des lois sociales, des lois sans pitié et sans intelligence, qui meurtrissent le coeur et violentent la liberté. De là tant de prophéties irritées et cette utopie du mariage idéal : «Je ne doute pas, s'écrie Jacques, que le mariage ne soit aboli, si l'espèce humaine fait quelque progrès vers la justice et la raison ; un lien plus humain et non moins sacré remplacera celui-là, et saura assurer l'existence des enfants qui naîtront d'un homme et d'une femme, sans enchaîner jamais la liberté de l'un et de l'autre. Mais les hommes sont trop grossiers et les femmes trop lâches, pour demander une loi plus noble que la loi de fer qui les régit ; à des êtres sans conscience et sans vertu il faut de lourdes chaînes.» Demander une loi, c'est bientôt dit, une loi qui affranchisse la liberté des époux sans détruire la famille que fonde le pacte de ces deux libertés. Qu'on essaye donc de la concevoir, cette loi, dans la contradiction de ses termes ! À moins de conclure tout simplement à l'union libre, je défie les législateurs de l'avenir de sortir de ce dilemme : il faut que l'homme et la femme aliènent leur liberté ou que la famille périsse. Encore s'il n'y avait que l'homme et la femme, le problème serait bientôt résolu. Ils se quitteraient dès qu'ils ne s'aimeraient plus, à supposer pourtant qu'ils puissent vivre l'un sans l'autre. C'est une panacée commode à l'usage des deux époux, quand ils ont tous deux des rentes ou même quand ils n'ont rien. Mais que deviendront les enfants, sous la loi de ces mariages éphémères ? Mme Sand ne s'en occupe pas.
Pas davantage la Sibylle, quand elle prépare dans le temple des Invisibles les
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