George Sand
décrets de l'avenir : «Oui, dit-elle, l'abandon de deux volontés qui se confondent en une seule est un miracle, car toute âme est libre en vertu d'un droit divin. Arrière donc les serments sacrilèges et les lois grossières ! Laissez-leur l'idéal, et ne les attachez pas à la réalité par les chaînes de la loi. Laissez à Dieu le soin de continuer le miracle.» À merveille ; mais enfin, si Dieu ne continue pas le miracle ? Si l'enthousiasme qui a entraîné cet homme et cette femme à se donner l'un à l'autre par le pacte toujours révocable de l'amour ; si cette ferveur qui les fait s'écrier à la première heure de l'amour : «Non pas seulement dans cette vie, mais dans l'éternité» ; si la passion, enfin, se refroidit et disparaît, le mariage idéal cessera-t-il par là même ? L'enthousiasme est une base bien fragile pour supporter la famille. Le roman de Jacques nous montre une femme qui s'est mariée dans la plénitude de sa liberté, qui a connu et pratiqué cette ferveur exigée dans le mariage idéal et qui disait, elle aussi : «Pour l'éternité». Et pourtant, après quelques années, que deviennent Fernande et la famille qu'elle a fondée ? Mme Sand élude la difficulté ; elle envoie aux enfants une maladie, qui les enlève, elle conseille à Jacques d'aller se tuer dans quelque gouffre ignoré, pour laisser sa femme libre d'aimer ailleurs. Fort bien, mais la réalité ne se laisse pas gouverner comme le roman. Et si les enfants s'obstinent à vivre ? Et si Jacques ne veut pas mourir ? Il serait trop cruel, en vérité, de recommander l'exemple de Jacques à tous les maris que leurs femmes cessent d'aimer. Quelle hécatombe !
George Sand avait-elle été coupable, dès ses premiers romans, de pareilles intentions ? Elle s'en était défendue dans une réponse bien curieuse, courtoise mais vive, à M. Nisard, qui a dû être écrite vers 1836 et qui a été annexée, sous forme de post-scriptum, aux Lettres d'un Voyageur.
C'est comme une apologie personnelle des romans de sa première manière et de leurs tendances : «S'il ne s'agissait pour moi que de vanité satisfaite, disait-elle au critique sévère et délicat qui s'était occupé de la partie sociale de ses oeuvres, je n'aurais que des remerciements à vous offrir, car vous accordez à la partie imaginative de mes contes beaucoup plus d'éloges qu'elle n'en mérite. Mais plus je suis touché de votre suffrage, plus il m'est impossible d'accepter votre blâme à certains égards... Vous dites, monsieur, que la haine du mariage est le but de tous mes livres. Permettez-moi d'en excepter quatre ou cinq, entre autres Lélia, que vous mettez au nombre de mes plaidoyers contre l'institution sociale, et où je ne sache pas qu'il en soit dit un mot... Indiana ne m'a pas semblé, non plus, lorsque je l'écrivais, pouvoir être une apologie de l'adultère. Je crois que dans ce roman (où il n'y a pas d'adultère commis, s'il m'en souvient bien) l'amant (ce roi de mes livres, comme vous l'appelez spirituellement) a un pire rôle que le mari—André n'est ni contre le mariage, ni pour l'amour adultère.—Enfin dans Valentine, dont le dénouement n'est ni neuf ni habile, j'en conviens, la vieille fatalité intervient pour empêcher la femme adultère de jouir, par un second mariage, d'un bonheur qu'elle n'a pas su attendre—Reste Jacques, le seul qui ait été assez heureux, je crois, pour obtenir de vous quelque attention.»
Et l'apologie, très habile, commence par l'aveu que l'artiste a pu pécher, que sa main sans expérience et sans mesure a pu tromper sa pensée, que son histoire ressemble un peu à celle de Benvenuto Cellini, qui s'arrêtait trop au détail en négligeant la forme et les proportions de l'ensemble.
C'est quelque chose de semblable qui a dû lui arriver à elle-même en écrivant ce roman, et sans doute aussi tous ses autres romans se ressentent de cette hâte d'ouvrier ardent et malhabile, qui se complaît à la fantaisie du moment, et qui manque le but à force de s'amuser aux moyens. Cette première excuse une fois admise, on voudra bien considérer qu'il y a en elle plus de la nature du poète que de celle du législateur, qu'elle ne se sent pas la force d'être un réformateur ; qu'il lui est arrivé souvent d'écrire lois sociales à la place des vrais mots, qui eussent été les abus, les ridicules, les préjugés et les vices du temps, lesquels lui semblent appartenir de plein droit à la
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