Gisors et l'énigme des Templiers
des
Templiers, les allusions à un trésor enfoui dans le sous-sol de Gisors
revenaient sans cesse, même si c’était sous la forme évidente d’une légende aux
multiples versions.
Quant aux souterrains, on ne se privait pas de les décrire.
Il y en avait partout autour de Gisors. À entendre mes compagnons, le Vexin
normand n’était qu’un vaste fromage de gruyère rempli de trous et de corridors
mystérieux. Il y en avait un entre le château de Gisors et l’église
Saint-Gervais-Saint-Protais : c’était sûr, on l’avait vu, puisque les
bombardements de 1940 avaient bouleversé le quartier et fait découvrir des
cavités que l’on ignorait jusqu’alors. Il y en avait un autre entre le même
château de Gisors et le donjon de Neaufles-Saint-Martin, ce qui est très
logique puisque la forteresse de Neaufles est plus ancienne que celle de
Gisors : ceux qui ont construit Gisors venaient de Neaufles et il eût été
surprenant qu’ils ne ménageassent point un accès entre les deux points forts du
système de défense de la vallée de l’Epte. D’ailleurs, ajoutait un autre, il y
a un grand souterrain dallé (d’où tenait-il ce détail ?) qui relie Gisors
à Château-sur-Epte, dont on voit encore les ruines face à Saint-Clair-sur-Epte,
comme si celles-ci protégeaient encore l’entrée de la Normandie contre ceux qui
se précipitent sur la route nationale 14 en direction de Rouen. Il fallait
aussi parler du souterrain qui reliait Gisors aux Andelys, à Château-Gaillard,
plus précisément. Là, je n’étais pas d’accord, étant donné que c’est Richard
Cœur de Lion qui avait fait construire Château-Gaillard pour contrebalancer la
perte de Gisors. Mais j’étais prêt à admettre les salles souterraines sous
l’église de Bézu-Saint-Éloi et la mystérieuse signification de la très belle
croix de Neaufles, près du passage à niveau. Et j’aimais aussi qu’on me parlât
de Mortemer.
Cette abbaye cistercienne ruinée à la Révolution, et où
Henry I er d’Angleterre mourut d’indigestion
(ah ! la gastronomie normande), ne manque ni d’allure, maintenant qu’elle
a été en partie restaurée, ni de traditions étranges. On y entend des bruits
inexplicables, certains soirs. Pendant la Première Guerre mondiale, un
chauffeur anglais y rencontra le fantôme d’un moine, et en fit une description
si détaillée au curé de Lyons-la-Forêt que celui-ci reconnut exactement le
costume cistercien du XII e siècle. D’ailleurs,
une Dame Blanche vient souvent se lamenter sous les fenêtres du château, les
nuits sans lune, et il n’est pas rare d’apercevoir les moines massacrés pendant
la Révolution gagner l’église en procession. La nuit tombant, les histoires de
fantômes succédaient aux histoires de souterrains. Ah ! si quelqu’un avait
le temps de faire des fouilles, on trouverait sûrement quelque chose, sinon un
trésor, du moins des documents. On le voit, nous délirions beaucoup.
Cela tenait en partie à ce que le Père Marie-Bernard, qui
s’amusait comme un petit fou de nos sottises, versait, si j’ose dire, de
l’huile sur le feu en nous préparant un excellent « brûlot » (mélange
d’eau, de sucre et de rhum qu’il faisait flamber), qui augmentait nos ardeurs.
Alors les garçons du pays, qui se trouvaient parmi nous, extravaguaient sur ce
qu’ils avaient déjà entendu dans des veillées semblables, en famille ou chez
des amis. L’idée de souterrains secrets, de trésors enfouis – et maudits, parce
que gardés par des puissances maléfiques –, et de documents capables de
bouleverser le monde, devenait pour nous réalité. Et c’était
en 1948 , c’est-à-dire une douzaine d’années avant qu’un livre
apparemment sérieux, mais en fait aussi délirant que nos veillées à Puchay,
n’attire l’attention du grand public sur l’or des Templiers de Gisors. Il était
effectivement question d’un trésor caché à Gisors et de souterrains dans tout
le Vexin.
Ainsi, ce pays qui hantait autrefois mon imagination, alors
que je ne le connaissais que par mes lectures, me devint plus familier. Ce
séjour à Puchay me fit entrevoir Gisors non seulement comme le pivot de la
défense normande contre les rois de France, mais aussi comme une sorte de pôle
mystérieux vers lequel convergeaient des lumières froides, comme on en voit
parfois le long des murs des cimetières. Je visitai Mortemer avec mes
camarades. Nous y évoquâmes les fantômes. À
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