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Gisors et l'énigme des Templiers

Gisors et l'énigme des Templiers

Titel: Gisors et l'énigme des Templiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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I

LES OMBRES DE GISORS
    Depuis la nuit de ma mémoire, et quel que soit l’horizon
vers lequel convergent mes regards, j’ai toujours entretenu des rapports
étranges et quelque peu ambigus avec Gisors et la vallée de l’Epte. Ce n’est
pas mon pays et je n’y ai aucune attache précise. Je n’y suis allé que
tardivement, à l’âge de vingt ans. Pourtant, c’était un pays familier, comme
ceux qui sont entrevus dans des rêves d’enfance, un paysage où l’on finit par
croire qu’on a vécu un jour, serait-ce dans une vie antérieure. Mais, quoi
qu’il en soit, le fait est là : Gisors, la vallée de l’Epte, et aussi le
Vexin, nourrissaient mon imaginaire.
    Je me suis toujours fié à mon instinct, à cette sorte de
sens inné que je n’hésite pas à croire d’origine celtique et qui fait entrevoir
des réalités profondes déformées par la brume des apparences. J’ai toujours
voulu que mes rêves deviennent réalités parce que je crois en la
toute-puissance de l’Esprit. Mais pour que ces rêves se réalisent, j’ai vite
compris qu’il fallait d’abord les incarner, les soumettre au jeu de la matière,
c’est-à-dire de l’apparence. Ma culture rationaliste répugne à croire une
proposition, la plus minime soit-elle, si je n’ai pas vérifié les étais sur
lesquels elle s’appuie. Ce n’est pas nier les forces obscures de l’inconscient,
c’est au contraire leur donner les moyens d’agir. Et je me suis demandé
pourquoi et comment mon esprit chevauchait les grandes étendues du Vexin à la
recherche d’une zone d’ombre, quelque part le long du cours sinueux de l’Epte
ou sous les fantastiques murailles de Gisors. Or, quand on cherche, on trouve.
    Au plus profond de ma mémoire, une image s’impose, qui n’est
pas en rapport avec Gisors mais avec Saint-Clair-sur-Epte. Il s’agit d’une
illustration débile contenue dans un manuel scolaire, une « Histoire de
France » pour classes élémentaires. Cela représentait le chef normand
Rollon rendant hommage au roi de France Charles III dit « le
Simple ». La légende expliquait que le fier Normand, devant baiser les
pieds du souverain, n’avait pas voulu s’abaisser à fléchir le genou : il
avait pris franchement la jambe du roi et l’avait haussée jusqu’à lui, faisant
ainsi dégringoler de son trône le malheureux Charles le Simple. Oh !
combien les images puériles de nos Histoires de France ont-elles marqué notre imaginaire ! Et l’épisode de Rollon, ainsi traité –
ou maltraité – rejoignait une autre image : celle de Charlemagne
vieillissant dans un fauteuil, regardant tristement par la fenêtre de son
palais une horde d’affreux Normands en train de piller et de brûler une abbaye.
Il faudrait un jour réécrire l’Histoire d’après les images de nos
manuels !
    C’est pourtant là le point de départ de mon rêve sur Gisors.
On voit que les Templiers en sont encore exclus. Mais les Normands, par contre,
déferlent, provenant de tous les horizons, précédés de leur terrible
réputation, laquelle n’est d’ailleurs qu’un leurre, les Vikings n’étant pas
plus cruels ni pillards – ni moins – que les autres peuples dits chrétiens de
l’époque. À vrai dire, je soupçonne fort les rédacteurs de manuels scolaires du
début de ce siècle d’avoir sciemment remplacé l’image un peu usée du
Croquemitaine, trop suspecte d’irrationnel, par celle beaucoup plus réaliste
des Hommes du Nord. C’est en somme la version antérieure de « l’espion qui
venait du froid », et cela montre assez clairement que toute éclosion de
la personnalité, qu’elle soit individuelle ou collective, passe par la crainte
de l’ autre , de celui qui est de l’ autre
côté .
    En l’occurrence, la vallée de l’Epte m’est apparue très tôt
comme une frontière au-delà de laquelle vivaient encore les descendants de ces
redoutables Normands dont on m’avait décrit les ravages. Et surtout, pour moi
qui résidais à Paris, la vallée de l’Epte constituait la plus proche frontière
naturelle. Je sentais bien qu’il devait y avoir une différence fondamentale
entre le Vexin français et le Vexin normand, et que la Normandie n’était pas
l’Île-de-France, même pas la France tout court. Je savais que la Normandie
avait été longtemps anglaise, et même, je me disais que les Normands avaient
conquis l’Angleterre : dans ces conditions, comment ne pas considérer la
Normandie comme le

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