Gisors et l'énigme des Templiers
retrouve sur d’autres mégalithes
de la région, ainsi qu’à l’intérieur des grottes néolithiques de la vallée du
Petit-Morin, à Coizard notamment. Ce genre de figuration, à mi-chemin entre le
figuratif et le symbolisme, est caractéristique de l’art dolménique et peut
être rapprochée des gravures qu’on relève sur les supports de nombreux
monuments du Morbihan. La forme féminine d’Aveny a une parenté évidente avec la
fameuse idole « en forme de marmite » des Pierres-Plates en
Locmariaquer, et avec la déesse à la chevelure et aux colliers plusieurs fois
représentée dans le tertre de l’île de Gavrinis. Il faut vraisemblablement y
voir une divinité funéraire, puisque les dolmens et les allées couvertes sont
des tombeaux, mais aussi, vu le contexte et la floraison d’éléments décoratifs
évoquant la mer et la végétation, une divinité de la vie. Cela suppose une
pensée métaphysique déjà élaborée : la vie et la mort ne sont que deux
aspects complémentaires d’une même réalité.
Quoi qu’il en soit de ces spéculations, les symboles veulent
toujours dire quelque chose. Le collier est signe de puissance et les seins
marquent l’abondance. Le message peut être résumé ainsi : le triomphe de la
vie. Dans ces conditions, à quoi bon se poser d’autres questions ? L’allée
couverte d’Aveny se suffit à elle-même, et quand on demeure un certain temps le
dos appuyé contre la pierre, on finit par sentir que tout est possible tant est
puissante l’énergie qui émane de la terre en cet endroit, et qui jaillit, tel
un éclair, vers le ciel à travers les arbres. Je suis persuadé que les
mégalithes de Trie-Château et d’Aveny sont des clefs nécessaires pour ouvrir
les portes réelles de Gisors, celles qui sont en dedans .
Car les routes droites ne mènent jamais qu’au néant des vanités tapageuses.
Je restais souvent des heures près de l’allée couverte
d’Aveny. À l’époque, peu nombreux étaient les visiteurs qui, ayant relevé la
présence du monument dans un guide touristique, s’étaient décidés à aller voir
de quoi il s’agissait. Généralement, ils repartaient bien vite, ajoutant un tas
de pierres à leur collection d’images de la journée. Mais j’en ai vu qui
restaient, qui examinaient la pierre, qui la photographiaient, qui
s’imprégnaient de l’atmosphère qu’elle suscitait. Alors, quand j’avais la
sensation d’être « rechargé », d’avoir fait le plein de forces
vitales indispensables, je reprenais le sentier qui se faufilait à travers les
arbres.
De retour dans la vallée, je pouvais alors beaucoup mieux
appréhender son aspect romantique et désuet : cette vallée de l’Epte, j’en
avais la conviction, avait cessé d’appartenir au monde depuis au moins un
siècle, c’était une vallée oubliée. Il aurait fait bon s’y endormir un soir de
printemps, quand les lilas sont en fleurs, pour ne se réveiller qu’à la fin des
temps, lorsque les pommiers de l’île d’Avalon produiront des fruits mûrs toute
l’année. Sur le vieux pont qui franchissait l’Epte, on sentait l’odeur de
l’eau, et le village d’Aveny baignait dans un tableau de Claude Monet. Le
peintre a d’ailleurs habité longtemps dans la vallée de l’Epte, à Giverny, où
l’on peut encore voir sa maison et ses jardins, non loin du confluent où l’Epte
se jette dans la Seine, emportant ses eaux paresseuses vers un grand large où
se noient les bateaux ivres. L’impressionnisme, le symbolisme, le style
« fin de siècle », les hurlements de Rimbaud qui tentent de réveiller
les fées endormies sous les glycines des maisons ravagées par les mousses du
temps passé : tout y est, tout est préparé pour permettre le plongeon vers
l’aube du soleil, lorsque la lumière divine imprégnait encore les parcelles
d’or qui pleuvaient sur la terre.
D’Aveny, je remontais le cours de l’Epte. La petite route,
peu propice à une grande circulation, suit la rivière, et la voie ferrée de
Vernon à Gisors est parallèle, avec parfois des passages à niveaux bizarres. La
vétusté de cette voie ferrée me fait toujours penser à quelque scénario de
science-fiction où l’on imagine un train s’égarant sur une ligne désaffectée et
s’enfonçant dans les brumes d’un autre-monde. En fait, cela a quelque chose
d’irréel. Est-on sûr que les maisons du hameau de Berthenonville sont habitées
par des êtres humains ? Tout est
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