Gisors et l'énigme des Templiers
couchant,
transportant avec eux leurs peines et leurs joies, et se recueillant à chaque
carrefour, auprès d’une croix ou d’une statue de saint Christophe, là où jadis
nos ancêtres gaulois vénéraient le dieu à double ou triple face qui protégeait
l’errance vers des pays lointains. Je savais déjà que l’Ordre du Temple avait
été créé, du moins officiellement, pour protéger les routes de pèlerinage en
Terre sainte, et que par la suite, il avait surveillé les grandes voies de
communication de l’Europe occidentale. Mais que m’importaient les Templiers à
cette époque. Le soir, à la veillée, nous replongeâmes dans nos délires :
c’était à qui trouverait le Trésor enfoui dans la ville de Gisors, à Bézu-Saint-Éloi,
à Neaufles ou même à Mortemer. J’ai le souvenir vivant de ces heures trop
courtes : elles sont parmi les meilleures de ma vie.
Je suis revenu très souvent, par la suite, à Gisors, dans la
vallée de l’Epte et sur les plateaux du Vexin. Et à chaque fois cela a été le
même émerveillement, la même nostalgie profonde, la même volonté farouche de
m’enfoncer davantage dans les ombres que laissaient entrevoir les feuillages
qui s’ouvraient.
Plus que jamais ce pays m’apparaissait comme celtique,
empreint d’une atmosphère inexplicable, mais qui remontait à la nuit des temps,
toutes civilisations confondues et se cristallisant dans une grande auréole de
mystère. Le Vexin, c’est le territoire du peuple gaulois des Véliocasses, et
qui, au temps de la conquête romaine, faisait partie de la Gaule Belgique comme
tout ce qui était au nord de la Seine. Mais les Véliocasses n’avaient fait que
s’établir dans une région déjà modelée par des peuples antérieurs. Région de
passage, certes, dernier débris de la grande plaine de l’Europe du Nord,
jonction entre la Mer du Nord et les routes qui menaient vers les rives
atlantiques, entre les vallées qui viennent de l’est et du sud et les
échancrures de la Manche, autrefois appelée « Mer bretonne ».
Pays-carrefour où les vents ont soufflé de partout, où, comme une étrange épine
dorsale, la voie romaine (c’est-à-dire un chemin gaulois pavé) de Lutèce à
Rotomagus (Rouen, la « plaine de la roue », ou la « plaine
ronde ») se reconnaît parfois sous les fondations de la route nationale 14.
Lieu d’histoire où se sont affrontés les Francs et les pirates vikings, et
ensuite les rois de France avec leurs vassaux, les rois anglo-normands. Et au
milieu de tout cela, dans un pays partagé par le traité de Saint-Clair-sur-Epte,
en 911, la forteresse de Gisors brillant comme un phare et que convoitent tous
ceux qui sont éclairés par son faisceau lumineux…
J’avais trois façons de pénétrer dans ce domaine
privilégié : par Chaumont-en-Vexin et Trie-Château, où j’évoquais les
forteresses françaises qui surveillaient Gisors ; par Magny-en-Vexin après
une halte au musée de Guiry-en-Vexin, témoignage de l’ancienneté de ce
terroir ; par de petites routes paresseuses à travers le Vexin français,
dans ces charmantes vallées qui semblent isolées du monde, et où je découvrais
des noms de villages étonnants, comme Haute-Souris, ce qui me faisait aboutir
sur les bords de l’Epte, à Bray-Lû.
À Trie-Château, j’allais toujours accomplir une sorte de
pèlerinage à la célèbre allée couverte qui se trouve un peu à l’écart et qui a
gardé intacte cette puissance magnétique que l’on ressent dans toute
construction sacrée exceptionnelle. Cette allée couverte est fort bien
conservée, et elle présente une particularité : le support qui obstrue
l’entrée – contrairement à l’usage commun – est percé d’un trou circulaire.
Certes, d’autres allées couvertes de la région parisienne présentent cette même
particularité, et on peut en voir au musée de Pontoise ainsi que dans les
fossés du musée des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye. Mais ici, à
Trie-Château, le monument est à sa place d’origine, et il en est d’autant plus
émouvant. Je me suis laissé dire qu’à certaines dates, encore de nos jours, il
s’y déroulait des cérémonies quelque peu secrètes, de vagues rituels
d’initiation. Et s’il faut en croire mes informateurs, les participants à ces
cérémonies auraient des liens – ou affirmeraient en avoir – avec les Templiers.
Je ne peux m’empêcher de sourire. Initiation à quoi ?
Rituels
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