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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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commandant de police, aujourd’hui vêtu de lin dans les tons jaunes, décantait ses idées comme le barolo qu’il venait de déboucher et prit un cœur en pâte d’amandes rose dans la gondole en papier mâché bleu ciel posée sur son bureau. Tron supposa qu’il s’agissait d’un cadeau de Mlle Violetta dont le portrait se dressait à côté de la gondole dans un cadre argenté. Pour le reste, il n’apercevait pas un seul rapport de police en dehors du sien, mais en revanche le Wiener Tageblatt , le programme de La Traviata donnée le soir même à La Fenice et un tas de journaux français. Il reconnut Le Petit Courrier des Dames et Les Modes parisiennes , deux magazines auxquels la princesse était elle aussi abonnée.
    Sous la houlette de Mlle Violetta, le bureau de Spaur, autrefois limité aux biens de l’État, s’était métamorphosé en un confortable cabinet. Le dur lit de camp avait été remplacé par une douce ottomane. Sous le portrait de l’empereur, une petite commode supportait à présent une collection de carafes et une demi-douzaine de boîtes de confiseries de chez Demel dont le commandant de police consommait tous les jours de grandes quantités. L’odeur de l’eau de Cologne dont il s’aspergeait copieusement se mêlait aux relents putrides montant du rio di San Lorenzo les jours de grande chaleur.
    — Je ne m’étais pas douté, poursuivit-il après avoir offert au commissaire de s’asseoir, que vous résoudriez cette affaire si vite.
    Tron sourit d’un air modeste.
    — Moi non plus, baron.
    — L’efficacité de votre travail, reprit son supérieur, nous impressionne beaucoup.
    Difficile de dire s’il parlait de lui à la première personne du pluriel ou si le nous incluait Mlle Violetta. Il avala un autre cœur à la pâte d’amandes avant de demander :
    — Quand pensez-vous rendre le tableau à Sa Majesté ?
    — Dès que M. de Sivry l’aura expertisé et aura attesté qu’il s’agit de l’original, répondit Tron.
    Spaur fronça les sourcils.
    — Est-ce bien nécessaire ?
    — Nous ne voulons courir aucun risque, se justifia Tron. Mais je ne redoute aucune mauvaise surprise.
    Le commandant s’adossa à son siège avec satisfaction.
    — Dans ce cas, je vais pouvoir assurer au grand-prince ce soir dans sa loge que l’affaire est close. Et que l’assassin a péri dans un accident.
    Il balança la tête d’un air songeur.
    — Qui l’eût cru ? Un prêtre…
    Il se frotta les mains et regarda le commissaire.
    — Bien, et la nouvelle dans tout cela ? Elle avance ?
    La mine du commandant de police ne laissait aucun doute sur l’importance de cette question à ses yeux par rapport à quelques misérables crimes.
    — Vous avez eu le temps de reprendre la matière que je vous avais fournie ?
    Grand Dieu, la nouvelle ! Tron fut pris d’une suée. Il n’y avait même pas pensé une seule fois au cours des derniers jours. Cependant, il aurait été maladroit de décevoir son supérieur. Il s’éclaircit la gorge.
    — Bien entendu, baron !
    — Et alors ? Vous avez trouvé de nouvelles idées ?
    De nouvelles idées ? Non. Comment aurait-il pu, d’ailleurs ? Sur le coup, il ne se souvenait même plus du sujet. Ah oui ! Un écrivain d’un certain âge qui tombe amoureux d’un jeune Polonais – euh non – d’une jeune Polonaise. Mon Dieu, quel sujet rebattu !
    — Peut-être avez-vous réfléchi entre-temps à l’endroit où cet écrivain dans la fleur de l’âge – Spaur inclina la tête en arrière avec un geste vaniteux et passa la main dans ses cheveux teints – rencontre la jeune dame pour la première fois ?
    Il se pencha sur son bureau d’un geste brusque et fixa le commissaire avec impatience.
    Non, il n’y avait pas réfléchi. Mais la question du lieu ne lui paraissait pas si compliquée que cela. Où l’écrivain pouvait-il avoir rencontré la Polonaise pour la première fois ? Tron dut réprimer un bâillement. Sur un paquebot de la Lloyd ? Sur un quai de gare ? Ou plutôt sur un bateau à vapeur ? Comme il n’arrivait pas à se décider et qu’il n’avait pas envie d’y passer la nuit – parce qu’au fond, il s’en moquait –, il répondit bêtement :
    — Ils se croisent à l’hôtel.
    Spaur écarquilla les yeux.
    — L’écrivain dans la fleur de l’âge et la jeune Polonaise sont descendus dans le même hôtel ?
    Sa mine ravie montrait qu’il tenait cette idée pour une inspiration extrêmement raffinée. Tron hocha la

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