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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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et se déplaçait avec une nonchalance presque déjà décadente en soi. Il jouissait à coup sûr d’un grand succès auprès des femmes.
    Du reste, Tron – qui avait lui-même souvent l’impression d’être considéré comme le petit chien de la princesse – l’appréciait peut-être justement pour cette raison. Aurait-il un jour une maîtresse lui aussi ? Ce destin tragique l’attendait-il tôt ou tard ? Jouerait-il dans un avenir noir comme la nuit avec l’idée de séduire Mlle Violetta ?
    Pris de panique, le commissaire remit de l’ordre dans ses idées (parfois, il ne comprenait pas lui-même ce qui lui traversait l’esprit), gravit encore quelques marches et s’arrêta de nouveau pour écouter les ultimes mesures de la mazurka en retenant son souffle. Les demi-tons du début se répétaient à la fin, mais, bien qu’il s’agît des mêmes notes, elles semblaient métamorphosées, purifiées, harmonie désespérée de sons vaporeux au service d’une douloureuse beauté.
    Tron ferma les paupières et pensa : Chopin ressemble à du champagne servi par la princesse. Saisi cette fois d’un frisson de jouissance, il se demanda si la cuisinière avait préparé la mousse au chocolat. Et s’il ne vaudrait pas mieux tout de suite prendre le dessert dans les appartements de Maria, ce qui présenterait l’avantage de…
    — Commissaire ?
    Oh ! Tron rouvrit les yeux et releva la tête. Potocki se tenait sur le palier du premier étage et baissait le regard vers lui en souriant. La lumière le frappant de côté soulignait la forme régulière de son nez et mettait en valeur l’œillet à sa boutonnière. Sa canne en bambou flamboyant, son élégant chapeau en paille et la fleur fraîche au revers de sa veste lui donnaient un air entreprenant – oui, c’était le mot. Dynamique aurait également convenu. Potocki avait une aventure ! pensa soudain le commissaire. Il en aurait mis la main au feu. Quelque part dans cette ville, une femme l’attendait – une femme qui ne lui demanderait pas : « Vous ne seriez pas le mari de la célèbre Constancia Potocki ? »
    — Constancia vous attend, dit-il.
    Il descendit quelques marches pour donner la main au commissaire et poursuivit :
    — Je ne serai pas de retour avant dix heures.
    Il jeta alors un coup d’œil sur sa montre en or et ajouta avec un sourire, avant de se remettre en route :
    — Cela devrait vous laisser assez de temps pour discuter les détails du programme.
    Le calme avec lequel il prenait les visites régulières que son épouse recevait se révélait aujourd’hui particulièrement frappant. Ce qui, pensa Tron, devait s’expliquer par le fait que les relations entre les deux époux s’étaient refroidies depuis longtemps et que Potocki avait d’autres fers au feu.
    Il gravit les dernières marches, entra dans le vestibule et prit à gauche. À nouveau, il nota – par opposition au palais Tron – l’absence de défaut dans le crépi, de fissures dans le carrelage, de fourmis se promenant au-dessus d’angelots cassés et de miroirs ternis. Mais, en contrepartie, le vestibule du palais Mocenigo se résumait à un couloir de taille moyenne au terrazzo neuf, bon marché, et aux murs nus, tout juste ornés de colonnes en stuc imitant le marbre. Les Potocki louaient le bâtiment à l’une de ces banques qui rachetaient les palais en ruine, les restauraient sans goût et les proposaient aux étrangers à des prix exorbitants.
    En vérité, Tron s’attendait à être accueilli par une des domestiques de la maison, mais le personnel semblait absent ce jour-là. Même l’intendante, Anna Kinsky, restait invisible. Avant de passer le seuil, il avait entendu des pas précipités dans l’escalier menant à la mezzanine, mais à présent, le silence régnait.
    Même le piano se taisait. Sans doute, supposa-t-il, Constancia Potocki fouillait-elle dans ses partitions à la recherche d’un morceau supplémentaire pour le concert au palais Tron. Une berceuse ou pire une ballade – les ballades étaient toujours tellement longues. Si seulement il ne l’avait pas laissée croire pendant des semaines qu’il s’agissait d’un vrai concert. S’il ne lui avait pas servi du vin pur par crainte qu’elle ne refuse. D’un autre côté, il n’aurait plus eu de raison de lui rendre visite une fois par semaine, ce qui était nécessaire pour aiguiser la jalousie de la princesse.
    Tron s’arrêta et ferma les yeux. Quelle tenue Maria porterait-elle

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