Gondoles de verre
avait-il quelqu’un d’autre dans l’église ? se renseigna Tron.
Bossi fit non de la tête. Le commissaire désigna le matériel photographique qui attendait d’être rangé dans les coffrets en bois.
— Pourquoi ces clichés alors ? Vous photographiez aussi les accidents maintenant ?
Le sergent répondit dans un étonnant mélange de modestie et de triomphe :
— Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un accident, commissaire.
— Pardon ?
— Vous avez bien dit que cet après-midi, le père Terenzio a accusé le colonel d’avoir acheté une copie dont la reine ignorait tout ?
— Le père Terenzio n’avait aucune preuve, dit Tron.
Une objection que le sergent n’était pas enclin à accepter.
— Néanmoins, nous aurions commencé à nous poser de sérieuses questions.
— Orlov aurait tué le prêtre pour détourner notre attention ?
— Ce serait un motif.
— Mais quelles sérieuses questions nous serions-nous posées, Bossi ?
— Nous nous serions demandé comment la copie du Titien retrouvée à bord du Karenine était arrivée à Venise, expliqua le sergent sans hésiter.
Puis après un instant de réflexion :
— Je crois que le colonel a vendu cette copie à Kostolany il y a deux ou trois mois. Et que Kostolany l’a revendue. Si bien que, le jour où la reine a décidé de vendre l’original, Orlov s’est retrouvé devant un problème.
— Vous voulez dire que Marie-Sophie de Bourbon ne devait en aucun cas apprendre que Kostolany avait déjà acheté une copie de ce tableau quelque temps auparavant ?
Bossi hocha la tête.
— Le colonel ne pouvait pas courir le risque que le marchand d’art le trahisse.
Il réfléchit à nouveau un instant.
— Ou alors Kostolany a exigé pour son silence un prix si élevé qu’Orlov ne pouvait pas se le permettre. Et qu’il a été obligé de l’étrangler.
Le commissaire esquissa une grimace sceptique.
— Votre théorie me paraît assez fragile, sergent. Je ne vois aucune chaîne d’indices . Votre présomption repose uniquement sur une affirmation sans preuve du père Terenzio. Et ce tas de poutres ressemble plutôt à un accident.
— C’est fait exprès ! s’exclama Bossi.
— Mais s’il s’agit d’un meurtre, comment le colonel Orlov s’y est-il pris selon vous ?
— Il a d’abord tué le prêtre et, ensuite, provoqué l’effondrement de l’échafaudage.
À ce moment-là, le sergent se tut avec l’air de juger lui-même sa théorie aussi instable que la construction sur laquelle le dominicain avait trouvé la mort. Le commissaire remarqua que le médecin légiste avait terminé son travail. Le dottore referma sa mallette, se leva et s’approcha d’eux.
— Alors ? demanda Tron avec un regard impatient.
Le médecin défit ses gants en coton blanc.
— Vous voulez que je vous dise s’il s’agit d’un accident ou d’un meurtre, c’est cela, commissaire ?
Les deux policiers hochèrent la tête en même temps.
— La réponse est : je n’en sais rien.
Le docteur Lionardo tourna la tête et fixa le cadavre avec l’enthousiasme d’un client incapable de se décider face à une offre trop riche.
— Le corps présente toutes sortes de blessures dont chacune aurait pu être mortelle.
— Avez-vous distingué des traces de défense sur ses mains ?
— Non. Mais nous n’en verrions pas, de toute façon, si l’agresseur l’avait attaqué à coups de couteau.
— Dans ce cas, intervint Bossi, il se pourrait que le meurtrier l’ait frappé avec un objet contondant.
Aux mots d’objet contondant, le médecin légiste roula des yeux.
— Pourrait, serait, aurait !
Il leva le regard au plafond, puis dit au commissaire sans prêter attention à Bossi :
— Le malheureux est tombé sur des marches en pierre d’une hauteur d’au moins dix mètres. Dans ces conditions, je ne vois pas comment on pourrait encore reconnaître des traces d’objets contondants.
— Et ses poches ? demanda Tron.
Il savait que Lionardo contrôlait toujours les poches.
— Rien, répondit le médecin. Sauf ceci. Je l’ai trouvé dans sa robe de bure.
Il tendit une enveloppe froissée. En dehors de quelques écailles de peinture, elle ne contenait rien. Sur le recto en revanche, on distinguait deux majuscules écrites en hâte au crayon à papier, un peu effacées, mais encore lisibles. Tron sentit soudain son cœur s’accélérer. Dieu du Ciel, mais c’est bien sûr ! Il secoua la tête et faillit éclater de rire. Ils ne
Weitere Kostenlose Bücher