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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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son Titien, selon toi ?
    — Sans doute à Sivry.
    — Qui devra débourser beaucoup plus pour un original que pour une copie, n’est-ce pas ?
    — Bien entendu. Pourquoi me demandes-tu cela ? l’interrogea Tron en fronçant les sourcils.
    — Parce que Sivry pourrait, disons, suggérer qu’il s’agit d’une copie.
    — Pour faire baisser le prix ? Il n’osera pas.
    — Tu lui fais confiance ?
    — Il ne m’a encore jamais berné, dit Tron. Et il ne le fera pas.
    — D’accord. Mais que vas-tu faire s’il établit malgré tout qu’il s’agit d’un faux ?
    Le commissaire haussa les épaules.
    — Dans ce cas, nous ne pourrons pas rendre à la reine son original.
    — Et dans cette hypothèse, nos chances de la recevoir baissent de façon considérable.
    Elle s’assit et posa les pieds sur le tapis.
    — À moins que Sivry ne se montre pas trop pointilleux. Il fait toujours preuve de souplesse dans ce genre de situation.
    — Que veux-tu dire ?
    — Que nous avons tous à y gagner qu’il s’agisse d’un original, expliqua Maria. Et que Sivry défend en général la thèse selon laquelle…
    Elle s’interrompit pour réfléchir un instant.
    — La vérité doit servir les hommes et non les hommes la vérité ? suggéra Tron.
    Elle hocha la tête.
    — Je ne voulais pas le formuler de façon aussi radicale. Quoi qu’il en soit, Sivry devrait prendre en compte les circonstances particulières de cette expertise. Et garder en tête que l’authenticité demeure un concept relatif.
    — Tu n’as pas besoin de lui expliquer, remarqua le commissaire. C’est sa devise en affaires.
    — À quelle heure dois-tu partir ?
    Tron jeta un coup d’œil sur la pendule de cheminée.
    — Tout de suite. Constancia Potocki m’attend à sept heures. Et son époux aussi sans doute. Il est probable que je le croiserai dans l’escalier comme d’habitude.
    La princesse le fixa avec curiosité.
    — Que dit-il, lui, de tes visites hebdomadaires ?
    — Il n’est pas jaloux. Nous bavardons de temps à autre sur les marches. Je l’apprécie beaucoup.
    — Tu penses que Constancia Potocki prendra vraiment mal le changement de programme ?
    — Elle n’a pas le choix. Mais si elle revient sur sa promesse, nous ne pourrons rien y faire.
    — Combien de temps penses-tu rester au palais Mocenigo ?
    — Une heure tout au plus.
    Tron se leva et prit son haut-de-forme.
    — Quel est le dessert ?
    — De la mousse au chocolat.
    — Et ensuite ?
    Elle sourit.
    — Nous ne sommes là pour personne.

23
    La musique débuta au moment même où Tron pénétra dans la cage d’escalier du palais Mocenigo. Il entendit d’abord l’anacrouse de plusieurs notes dans les premières mesures de la mazurka, puis le thème – une mélodie simple se composant d’une quarte mélancolique et de quelques cadences descendantes.
    Tron aimait Chopin, le caractère mystérieusement voilé, le côté angélique de sa personnalité qui lui rappelait Shelley. Et il aimait l’apparente aisance avec laquelle Constancia Potocki interprétait ses valses et ses nocturnes – une aisance acquise, comme il le savait, au prix d’années d’un travail ardu auquel il n’avait lui-même jamais eu la patience de s’atteler. Était-il facile de vivre avec une femme qui jouait de manière aussi divine ? Une part de son merveilleux talent se retrouvait-elle dans son caractère ? Quel genre de personne était-elle dans l’intimité ? Un être profond et sensible comme les mouvements lents de Beethoven ou au contraire (ce n’était pas exclu) une râleuse sujette aux migraines qui passait sa vie à se plaindre, même de son mari ?
    D’ailleurs son mari… Il donnait par moments l’impression de quitter le domicile conjugal sans regret. Que fichait -il en fin de compte ? Au cours de leurs discussions, Tron avait pu constater qu’il possédait une connaissance approfondie du settecento . Et il préparait une étude sur Goldoni – du moins s’en vantait-il.
    Sans doute le brave Potocki souffrait-il sans se l’avouer d’être relégué au rang humiliant de second rôle qui revient de manière inévitable au mari d’une artiste célèbre. Certains hommes ne supportaient pas un tel statut. Prenait-il des maîtresses ? En général, c’est ce qui arrivait dans de pareilles situations. Le commissaire l’imaginait bien sous les traits d’un petit-fils mélancolique du Beau Brummell. Potocki possédait un physique avantageux, faisait preuve d’un goût exquis

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