Grand-père

bruit d’une
voiture au loin semblaient le fasciner. Le doigt pointé en l’air, il s’étonnait
de ces moindres miracles, et les « Oh » émerveillés que sa bouche
exprimait étaient pour moi une musique si tendre que je décidai de le prendre
sous mon aile. Voilà pourquoi, après l’avoir fait examiner à la Fondation
Carpentier à Saigon, nous revînmes le chercher en grande pompe. Il avait quinze
mois, refusait de marcher, préférant se cramponner à moi comme un noyé à sa
bouée. « Les bras… les bras » furent les seuls mots dont il me
gratifia de nombreux mois encore. Ils lui étaient ouverts.
     
    Voilà ma vie. Invitée à son banquet, j’ai fait ce que j’ai
pu et pensé devoir faire. Quelquefois bien, quelquefois mal.
    « Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge », disait
Picasso mon grand-père.
    Moi, j’ai été obligée d’utiliser toutes les couleurs que me
proposait mon destin. Certaines étaient fondamentales, d’autres complémentaires.
Teintes et demi-teintes, j’espère que mes enfants ne jugeront pas l’œuvre que
fut ma vie quand ils l’accrocheront à la cimaise de leur mémoire.
     
    Gaël m’a téléphoné de Londres. Il m’attend la semaine
prochaine.
    Flore et son fiancé Arnaud passeront me voir demain après
avoir soigné leurs chevaux au Centre hippique de Mougins.
    Florian, onze ans et demi, est à son cours de judo. Ce matin,
il m’a informé de ses projets d’avenir. Il sera cuisinier et, si ça ne marche
pas, chef d’escadron au GIGN.
    May, douze ans, sera professeur de français ou alors vedette
de cinéma.
    Dimitri, dix ans, sera pilote d’avion mais aussi architecte
les jours où Air France sera en grève.
    Il est cinq heures du soir. Le soleil se couche sur les îles
de Lérins.
    Je suis bien. Tellement bien.